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À PROPOS de l’initiative “ Observatoire du numérique ” de la 3AF, La digitalisation des entreprises
25 février 2019
Lettre 3AF
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Le président de la 3AF a lancé un “ Manifeste de l’Observatoire ouvert du numérique ” dont il a confié le pilotage à M I. Garcia-Brotons. Cet observatoire est ouvert à des acteurs experts n’appartenant pas à la communauté aéronautique et spatiale. Son champ d’études est très vaste puisqu’il vise à traiter des différentes modalités de la transformation numérique (I.A., neurones artificiels, Deep Learning 1, projets agiles, Big Data). Celle-ci joue en tant que rupture technologique, sans aucun doute majeure, un rôle croissant dans le domaine économique et industriel ainsi qu’en atteste la publication de nombreux travaux d’économistes, d’universitaires et de chercheurs sur ce sujet 2.
De quoi s’agit-il ? De la mise en oeuvre de systèmes capables d’exécuter des processus neurologiques de haut niveau tels que l’apprentissage, la mémoire ou le raisonnement critique grâce à la maîtrise d’une masse considérable d’informations obtenues par interconnexion permanente en tout lieu et pratiquement pour tous usages, phénomène inédit à ce niveau.
Comment cela se traduit-il concrètement ? Une réponse évidente est que ces innovations “ capacitantes ” imposent aux entreprises industrielles et commerciales (y compris dans les domaines dits régaliens) de réinventer leur modèle économique, la chaine de production et la chaine de fonctionnement interne, au total un bouleversement des méthodes de travail. A partir de là, apparait pour les acteurs un modus operandi nouveau : le renversement du poids respectif des grandes fonctions “ immatérielles ” (relations humaines, fonction commerciale, relations publiques (toutes fonctions au contact du client) dans la prise de décision, par rapport aux fonctions “ matérielles ” jusqu’à présent prépondérantes dans nos industries du secteur aérospatial et de défense du fait de la technicité des produits. En somme les usages plutôt que les performances ! La vie des entreprises industrielles - surtout celle des très grands groupes - s’en trouvera sérieusement modifiée : information en temps réel et partagé, travail collaboratif en circuit court (méthodes dites agiles 3). Soit le modèle Space X de Musk plutôt que le modèle de l’arsenal ou du CNPF classique. Il est clair que compte tenu de la masse effarante d’informations et de données à dispatcher et à traiter, le mot d’ordre va être “Partager”. Ne pas chercher à tout contrôler. Etre transparent, fluide, pour être efficace.
Il a été demandé à la CSAI/3AF de contribuer aux travaux du groupe 3AF “ Observatoire du digital ” par une réflexion, interne et préliminaire à ce stade, sur les enjeux de ces travaux, de façon à parvenir à identifier quelques fils conducteurs intéressant la communauté de la société savante pour l’essentiel composée d’ingénieurs de l’industrie et des agences.
La présente note a pour objet de présenter, à partir des observations d’un petit nombre de collègues 4, quelques remarques de méthode ou visant à clarifier une réflexion dont le champ est extrêmement diffus, en cherchant à contribuer modestement à dédramatiser les enjeux de l’IA et à mieux comprendre ce qui est possible et ce qui ne l’est pas.
Dans un premier temps, on fera deux remarques liminaires concernant la dynamique du groupe Observatoire, et dans deuxième temps on formulera quelques observations générales dans le champ de la réflexion.
* * *
1/ Une première remarque concernant l’Observatoire 3AF concerne l’objectif de la démarche. Il ne s’agit pas, à notre sens, d’un exercice visant seulement à étendre notre culture, même si un tel acquis est nécessaire aujourd’hui. La finalité devrait être, selon nous, d’identifier ce dont disposent, dans la “ boite à outils ” IA 5, les entreprises qui souhaitent expérimenter des approches IA et, après un investissement dans les connaissances de ces nouvelles disciplines, de comprendre :
- d’abord, en quoi les ruptures techniques introduites peuvent changer la méthode de production des “ objets technologiques ” (dont ceux qui nous sont familiers, systèmes de systèmes, développements industriels aérospatiaux ou de défense et sécurité), ce qu’on appelait la chaine de production ?
- et, en second lieu, concernant les ruptures d’usage des équipements, de comprendre en quoi elles peuven dans un avenir pas forcément très lointain bouleverser la conduite d’opérations (dont la définition reste à préciser). Saurons nous nous montrer à l’avant-garde de l’utilisation massive de l’information et du retour sur information ; jusqu’à quel point, au-delà des tabous professionnels, la machine va-t-elle remplacer l’homme y compris dans les opérations militaires ? 6 Sur ce point, le texte récent de J-C. Noel, précité en note, intitulé “ Vers une nouvelle révolution militaire ? ” (IFRI, 2018) donne des éclairages assez précis sur le fait que les technologies IA capables de brasser une quantité énorme d’informations, de les relier, d’établir de meilleures connexions entre elles et de tester finalement les options favorables vont conduire à un bond en avant des capacités d’anticipation des forces et relancer la fameuse problématique EBO (Effect-Based Operations) en vogue depuis la guerre du Golfe de 1991 et un peu passée de mode depuis. A ce stade, on parle de complémentarité homme/machine, mais il parait d’ores et déjà que la machine, de plus en plus autonome pour pallier les effets de communications possiblement peu sûres, produira des progrès étonnants en matière de fiabilité et de sécurité (résistance aux cyberattaques par exemple). La multiplication de machines artificielles au sein des armées pourrait même à terme si l’on en croit des experts militaires favoriser des affrontements tactiques entre unités automatisées conduites par des algorithmes. L’automatisation en ce sens est clairement un facteur significatif de l’amélioration des performances des systèmes de combat, quand bien même elle ne serait pas pour autant un facteur de réduction des coûts d’acquisition. Pour tempérer l’euphorie, rappelons que l’expérience a aussi montré que, jusqu’à présent, que les systèmes les plus sophistiqués peuvent être leurrés. Au plan international global, il est théoriquement envisageable que les doctrines d’emploi de l’IA des différentes armées des grandes puissances puissent converger. En ce sens, on pourrait aller jusqu’à dire que l’IA deviendra au plan stratégique une arme politique redoutable (USA/Chine). D’ores et déjà une course aux armements à base d’IA est en cours avec des projets de recherche dotés de budgets considérables 7.
- enfin il serait utile de progresser sur le fait de savoir in fine en quoi ou dans quels domaines ces technologies innovantes peuvent apporter des solutions vraiment utiles (aux industriels, aux opérateurs et usagers) éthiquement compatibles. La perspective de développer des machines capables non seulement de produire un comportement intelligent, mais aussi d’éprouver un sentiment de conscience de soi ou même d’une forme d’émotion, doit nous interroger.
2/ Une seconde remarque tient à la définition du champ de l’étude puisqu’il est susceptible de couvrir la numérisation des fonctions de conduites des systèmes techniques (leur usage, leur “ command and control ”, C2 comme disent les américains), des aides à la décision opérationnelle, la mise en réseaux de systèmes (modélisation et anticipation d’effets), la transformation des process des donneurs d’ordre et industriels, etc.
Quelques observations plus générales pourraient par ailleurs contribuer à la clarification des enjeux dans le champ de l’étude:
• Concernant la numérisation ou digitalisation de fonctions de pilotage de systèmes complexes (dans la défense, par exemple, conduite de tir en mer) comme on le fait depuis les années 70, il s’agit désormais d’intégrer encore plus le progrès monumental des ordinateurs, des composants électroniques et des logiciels (la fameuse loi de Moore, les avancées des GAFA, algorithmes nouveaux). L’évolution se fera en fonction des progrès rapides de l’offre numérique 8. En revanche, ne perdons pas de vue que la rupture peut être freinée ou accélérée par le facteur économique ou sociologique, par des raisons de coût ou de rigidité du facteur travail.
Dans le domaine spatial, autre exemple, on peut imaginer d’embarquer sur ce qui vole ou se met en orbite des choses qu’on ne savait faire qu’à terre et qu’il fallait ensuite transporter. Les matériels proposés par le “ New Space ”, consommables, flexibles, sont grosso modo ceux du commerce des composants électroniques digitaux et peuvent être produits en série, à un cout a priori abordable. Reste que l’environnement spatial est contraignant et ne se prête pas systématiquement à l’amortissement d’investissements qui n’intéressent pas toujours le marché à court terme.
• Le domaine très important du C3I (command, control, communication, information) militaire ou civil est en évolution également depuis les années 70 avec des fortunes diverses en fonction de certains choix contractuels (systèmes propriétaires fermés, difficultés à élaborer les spécifications des logiciels faute de labos technico-opérationnels). Les “ systèmes experts ” d’aide à la décision (ancêtres du Deep Learning ?) ont voilà dix ou quinze ans représenté une avancée ; mais ils étaient basés avant tout sur l’action initiale de l’homme. Aujourd’hui dans le Deep Learning la machine absorbe les données et l’expérience puis détermine elle-même la conduite. La mise en réseau de systèmes, qu’on appelait au début des années 2000 dans les milieux de la défense “ Network Centric Warfare ” (NCW), est par conséquent un domaine en plein renouvellement où l’homme ne joue plus le rôle qu’on lui assignait traditionnellement. Là est sans doute une place évidente pour l’IA si des problèmes de standards (nationaux et internationaux), de fréquences et de robustesse peuvent être surmontés.
• Enfin, et surtout, les questions liées à la remise en cause via le progrès technologique IA du mode de fonctionnement et de production des organisations et des entreprises, non spécifique en soi au secteur aérospatial, sont nous semble-t-il capitales, sachant que dans le domaine industriel qui nous concerne certains paramètres peuvent (ou non ?) être différents de ceux du “ business as usual ”. Dans le commercial de grande consommation, on a plutôt du “ push ” (l’entreprise analyse et intuite comme elle peut le besoin, trouve des solutions et voit si le marché aval répond et comment). Dans les domaines qui nous sont proches, on a le plus souvent à faire à des solutions “ pull ” pour des problèmes à court ou moyen terme formulés par des donneurs d’ordre pour le compte d’une famille d’utilisateurs, en tenant compte du retour d’expérience dans un milieu donné (espace, air, mer, terre). Force est de constater que dorénavant nous sommes face à un marché dominé par un pull nouvelle version – c’est-à-dire une démarche centrée essentiellement sur l’expérience des utilisateurs pour lequel le produit ou le service est individualisé le plus possible. Cela correspond au concept majeur de retour d’expérience au sens informatique du terme et à la notion de systèmes modulaires, flexibles et réversibles. L’impact des innovations numériques /IA sera à situer dans la relation “ client ” ou spécificateur et fournisseur industriel.
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