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Évolution du contexte stratégique des défenses antimissiles et des doctrines : game changers-renforcement des dissuasions et de l’IAMD
3AF a lancé la conférence Missile Defense en 2004, en raison des enjeux de la défense antimissile pour l’Europe, en lien avec les initiatives américaines, de l’OTAN, d’Israël mais aussi de l’Asie, sans oublier la Russie. Depuis quelques années nous constatons d’une part que les menaces évoluent sur fond de crises ou de tensions régionales (Syrie, Yémen), d’autre part que le besoin en défense antimissile se confirme, mais avec des frontières qui évoluent entre les défenses antimissile balistique et les défenses aériennes, entre les défenses du territoire et de théâtre, voire avec la défense spatiale. L’ère de la défense aérienne et antimissile intégrée est née ou renait, mais aussi celle de nouvelles doctrines de défense aérospatiale intégrée et de déni d’accès qui les accompagnent, sans oublier les doctrines de dissuasion nucléaire ou leurs éventuelles évolutions.
Comme toujours, la conférence IAMD de 3AF est à la fois un forum favorisant la rencontre d’experts du monde entier, mais aussi le témoin des facteurs de changements (“ game changer ”) à la fois technologiques et internationaux qui influent sur la défense antimissile et son lien avec la dissuasion. Cet article brosse un tableau de ces différents changements parmi lesquels les évolutions récentes de doctrines et des systèmes antimissiles et IAMD1, notamment russes.
La publication de la toute nouvelle Joint Air Power Strategy de l’OTAN, le 26 juin 2018, témoigne également de l’évolution des concepts stratégiques, des menaces symétriques et des nouvelles doctrines qui impacteront l’IAMD et la synergie entre les composantes de défense sol, maritimes, aériennes et spatiales.
Cet article s’appuie sur une intervention de Luc Dini, “ débatteur ” de Bruno Tertrais, conférencier sur le thème Défense antimissile et dissuasion, dans le cadre de la chaire enjeux stratégiques de la Sorbonne, le 19 mars 2018 (voir photo colonne de droite).
Il inclut également plusieurs interventions concernant les postures russes et américaines sur la défense antimissile, parmi lesquelles celle d’Ivanka Barzashka (sur la doctrine de défense aérospatiale russe), du Dr Igor Sutyagin (défense aérienne et antimissile intégrée russe) et du Dr Brad Roberts (revue 2017 de la politique et posture de défense antimissile US).
Luc Dini2
Co-chairman de la conférence IAMD 3AF
Les menaces évoluent, les missions des défenses aériennes et antimissiles aussi : les games changers
Les défenses antimissiles changent et leurs relations à la dissuasion évoluent, aux USA, en Russie, en Chine, et en Europe probablement aussi avec des “ game changers ”, tout au long de l’histoire de ces défenses. L’inflexion la plus récente est intervenue après 2010, mais il est intéressant de revenir sur le passé pour évoquer les grands changements de ces défenses et mieux comprendre la complémentarité entre les défenses antimissile balistique stratégique, les doctrines de dissuasion et les défenses antimissiles de théâtre.
Des années 1960 à 1990
À l’origine, dans les années 60, la défense antimissile stratégique était déjà complémentaire de la dissuasion nucléaire, du côté russe, comme américain. Elle reposait sur des intercepteurs à charge nucléaire que le traité ABM de 1972 a limité à 100. La défense ABM stratégique russe fut maintenue depuis avec pour mission principale d’une part l’alerte des moyens de dissuasion, d’autre part la protection des installations stratégiques de Moscou face à une frappe en premier, balistique ou aérienne, sur ses centres de commandement. Du côté américain, la mission de défense des populations avec des intercepteurs nucléaires fut abandonnée, comme celle des sites stratégiques centraux. Les USA ont pour autant gardé une composante radar et satellite d’alerte, destinée à l’alerte au profit des systèmes de dissuasion.
De 1990 à 2010
Les années 80 voient le début du programme SDI (Strategic Defense Initiative) américain le 23 mars 19833 durant la guerre froide. Ce programme présentait la vision d’une protection totale (et étanche) de la population américaine contre des salves massives de missiles balistiques intercontinentaux (ICBM) nucléaires de l’URSS. Ce programme faisait appel à de nouvelles technologies, reposant sur des armes à énergie dirigée (le rêve des lasers tueurs dans l’espace vite disparu) mais surtout sur des armes à énergie cinétique, combinant des radars avec des missiles intercepteurs dotés d’un guidage très précis. Ces intercepteurs à énergie cinétique devaient détruire les ogives nucléaires des missiles assaillants par un impact direct à très grande vitesse (plus de 7 km/s de vitesse relative) avec le véhicule tueur. La défense de théâtre contre les avions et les missiles balistique courte portée faisait aussi partie du programme, compte tenu des risques de confrontation sur les théâtres possibles de la guerre froide (dont l’Europe). Les armes à énergie cinétique furent donc la réelle rupture technologique qui permettait enfin de substituer à l’interception “ nucléaire ” une chaine de guidage précise allant jusqu’à l’impact cinétique direct.
Cette vision a permis aussi à l’Amérique de lancer un défi technologique à l’ex-URSS sur sa dissuasion et sa défense (qui restait nucléaire), mais aussi d’utiliser la défense antimissile comme un levier d’influence, politique, technologique et financier vis-à-vis des régions d’Europe, du Moyen Orient et d’Asie.
Cette défense du territoire américain s’est orientée ensuite vers une mission plus réaliste pour défendre les populations contre des menaces balistiques longue portée, potentielles, mais surtout limitées (en nombre et sophistication). La menace provenait alors d’une organisation terroriste s’emparant de missiles soviétiques, puis de pays proliférants (Iran et Corée du Nord désignés ensuite par les USA). Cette défense stratégique, déployée finalement aux USA dans les années 2000, est basée sur un nombre limité d’intercepteurs (44 aujourd’hui) et participe alors à une dissuasion par effet de seuil, vis-à-vis d’un pays proliférant, doté d’un arsenal limité, en rendant incertain l’effet d’une attaque “ limitée ” tout en exposant l’agresseur à des représailles certaines et efficaces. Cette défense serait au contraire inefficace contre une frappe massive par la Russie ou la Chine, qui disposent d’arsenaux plus nombreux et sophistiqués (surtout pour la Russie, mais la Chine dispose aussi de missiles en nombre suffisant). La Russie comme la Chine ne sont d’ailleurs pas désignées comme des agresseurs potentiels conformément à la politique de Missile Defense américaine en vigueur, ou à celle de l’OTAN d’ailleurs. Des systèmes d’interception Aegis navals et terrestres, utilisant les missiles SM34, sont aussi déployés en Asie (Japon) et en Europe (système EPAA5).
Parallèlement, la Russie a continué la modernisation de ses “ ceintures ” de défense stratégique aérienne et antimissile autour de Moscou, contre des frappes préventives précises, pour préserver sa capacité de dissuasion avec des systèmes nouveaux fixes et mobiles (S300 et par la suite par les tout nouveaux S400, S500- voir l’encart 2). Certains (dont le S400) peuvent aussi jouer un rôle sur un théâtre d’opérations (défenses de théâtre), mais aussi être exportés vers des pays tiers (Syrie, Chine, etc.) pour créer des zones de protection. Les défenses sont à la fois nucléaires (ABM fixes) et conventionnelles (duale) pour les défenses mobiles. Cette capacité duale sera appliquée aux systèmes anti-aériens. Une nouvelle phase de modernisation va apparaitre vers 2010 et tourner la page des défenses nucléaires.
Quel rôle pour les défenses de théâtre ?
En parallèle, nous avons vu le développement de défenses antimissiles balistiques (et anti-aériennes donc duales) destinées aux théâtres d’opérations extérieures, mobiles, projetables, après la guerre froide, donc dans le nouveau contexte de prolifération de missiles balistiques courte portée (les Scuds) et des missiles de croisières (guerre Iran-Irak, première guerre du Golfe avec l’Irak, Syrie, Yémen). Ce fut pour l’OTAN la pierre angulaire de la coopération transatlantique ALTBMD6 lancée depuis 2000, avec une inflexion vers la défense du territoire et des populations de l’OTAN en 2010 (décision de déployer une capacité EPAA limitée prise au sommet de Lisbonne, confirmée à Chicago en 2012): la défense antimissile du territoire devient alors un complément à la dissuasion qu’elle ne remplace pas. Cette complémentarité entre défense antimissile et dissuasion fut rappelée à tous les sommets de l’OTAN, depuis l’annonce d’une capacité initiale antimissile déployée en Europe, lors du sommet de Chicago en mai 2012.
Les défenses de théâtre ont aussi un lien indirect avec la dissuasion. Elles permettent d’assurer à la fois la protection des forces déployées sur des théâtres extérieurs (donc leur liberté d’action), mais aussi celles des sites névralgiques et des populations, sur des zones limitées, contre des missiles balistiques mais aussi de croisière. En évitant ainsi les pertes humaines, ou l’interruption d’activités économiques, elles jouent un rôle de tampon, en évitant une escalade rapide. Ce fut le cas en Israël durant la première guerre du Golfe.
Israel a d’ailleurs déployé depuis quatre couches de défenses aériennes anti-roquettes et antimissiles, avec une défense passive, sans oublier les moyens offensifs de réplique ou de chasse aux lance-missiles. Le Japon est dans une posture similaire avec des moyens de défense mais sans aucun moyen offensif ou de riposte.
De son côté, L’Europe n’a pas de rôle direct dans les défenses antimissiles stratégiques du territoire de l’OTAN (EPAA US) pour la réalisation des systèmes d’interception haute altitude et longue portée (sauf à autoriser leur déploiement sur leur territoire, cas de la Roumanie, puis de la Pologne voire de l’Espagne pour la base navale de croiseurs Aegis) ou à contribuer aux systèmes radar d’alerte et de poursuite. Mais l’Europe (et la France) contribue aux systèmes de Command Control7 antimissile et de défense aérienne (ACCS), politiquement, financièrement, opérationnellement et industriellement. Pour autant, certains pays européens dont la France ou l’Italie disposent aussi de capacité de défense aérienne et de théâtre, comme le système SAMP/T (100 % européen), ou le Patriot pour d’autres. Le système SAMP/T contribue parallèlement aussi à la posture de sureté arienne de la France (protection d’événements et de sommets) et peut être projeté vers des zones de crise extérieures, comme le SAMP/T italien, par exemple, en Turquie. La spécificité du SAMP/T est d’ailleurs une conception destinée à contrer les missiles de croisière rasants très manœuvrants, navals ou terrestres, qui a été adaptée pour se doter d’une capacité anti-balistique par impact direct. Ces caractéristiques font du SAMP/T un excellent système IAMD dont les capacités ATBM, mais aussi anti-missile de croisière, sont démontrées, remarquables et reconnues. Les versions navales, toutes équipées du missile ASTER, ont de fait la capacité anti-missile de croisière et peuvent bénéficier d’une capacité ATBM par extension.
Tournant dans l’évolution stratégique et technologique des défenses à partir de 2010
Mais depuis 2013, dès l’arrêt des négociations entre les USA, l’OTAN et la Russie, sur la coopération pour les défenses antimissiles du territoire8, la Russie a adopté une stratégie de défense aérospatiale intégrée innovante (voir encart 1, Ivanka Barzashka), combinant une défense stratégique fixe non nucléaire (système Nudol) autour de Moscou, qui participe à une capacité de défense multicouche y compris anti-satellite. Nous constatons aussi la modernisation des moyens de dissuasion nucléaire balistiques russes, sans compter le développement d’un nouveau missile de croisière nucléaire. De même les systèmes mobiles S400 et bientôt S500, participent à cette défense IAMD centrale, qui n’est pas nouvelle (voir encart 2 : Igor Sutyagin) mais ils peuvent être aussi déployés sur d’autres zones et les frontières. L’ensemble de ces systèmes, accompagnés de moyens de guerre électronique et électromagnétique à énergie dirigée, contribue à la nouvelle doctrine d’interdiction A2/AD russe, combinant moyens défensifs et offensifs, incluant les missiles balistiques manoeuvrants contre les défenses et les missiles hypersoniques. Les systèmes S400 sont également exportés vers d’autres pays y compris vers des zones de crise comme la Syrie. Ils participent ainsi à la création de bulles de défenses IAMD sophistiquées, à l’exportation des doctrines d’emploi et à la politique d’influence de la Russie sur certaines zones. Tout ceci marque un changement de posture stratégique confirmé par le président Poutine dans son discours du 1er mars 2018, mais déjà amorcé et annoncé dès 2011-2012 (voir la conférence Missile Defense : coopération or confrontation organisée par le Ministre de la défense russe, à Moscou en mai 2012).
Ces évolutions des systèmes défensifs, mobiles, fixes, mais aussi des systèmes offensifs et des technologies utilisées (dont le brouillage, les armes a énergie dirigée) mais aussi les armes hypervéloces et manœuvrantes, associées aux doctrines nouvelles (A2/AD), constituent des “ game changers ” dans le paysage de la défense antimissile…qui s’exportent…
En Asie, la Chine n’a pas entrepris de politique aussi “ offensive ” que la Russie contre les défenses stratégiques US, continentales, mais elle mène une politique diplomatique régionale vis-à-vis de la prolifération balistique et nucléaire de la Corée du Nord, en incitant à la recherche d’une solution pacifique. De plus, simultanément, la Chine développe vis-à-vis de la stratégie de containment américaine, des moyens offensifs (missiles balistiques manœuvrants ASBM, missiles hypersoniques) et des systèmes défensifs IAMD. Elle acquiert aussi des systèmes S400 russes, et adopte une doctrine A2/AD mais développe aussi ses propres systèmes d’armes IAMD (système HQ9), des armes anti satellites et des systèmes d’alerte.
Nous voyons donc une transformation du paysage stratégique avec l’évolution des doctrines de dissuasion, des systèmes offensifs et de défense stratégiques et IAMD, mais aussi des menaces. Elles sont multiples et leurs effets peuvent êtres cumulés combinant saturation, manœuvre, diversité de vitesses, du drone au missile hypersonique, guerre électronique… Les défenses IAMD européennes sont potentiellement exposées à des menaces de cette nature sur des zones de crise. Parallèlement, les USA tardent à mener leur revue de Missile Defense Policy Posture prévue depuis 2017 (voir encart 3 : Dr Brad Roberts). Beaucoup d’évènements récents influent sur cette revue. D’une part la crise au Moyen Orient, et particulièrement en Syrie, où sont déployés des systèmes défensifs russes, alors qu’une frappe précise et localisée de missiles américains, britanniques et français a été menée en représailles de l’utilisation d’armes chimiques par la Syrie,sans oublier les tensions croissantes avec l’Iran (sortie des USA de l’accord nucléaire avec l’Iran, tensions avec Israel sur la zone syrienne, guerre au Yémen avec les Houtis chiites). D’autre part nous observons les tensions en Asie, avec les fluctuations des relations entre les USA et la Corée du Nord, sur fond d’une rencontre qualifiée d’historique qui s’est déroulée le 12 Juin 2018 entre les présidents Trump et Kim Jong-un. Cette rencontre semble orienter le cours des choses vers une solution diplomatique basée sur un document déclarant l’intention d’une dénucléarisation de la Corée du Nord (avec des contre-parties probables importantes et une implication régionale de la Chine). Nous verrons si la suite des évènements confirme cette issue diplomatique et quel sera l’impact sur la BMD US en Asie, mais aussi ailleurs. Du fait de ces évènements structurants, quelles orientations peut-on attendre pour la Missile Defense américaine : un durcissement des défenses ? Vis-à-vis de quelles menaces ? Quelles réactions de la Russie et de la Chine ? Nous pouvons d’ailleurs noter un commentaire posté par Ivanka Barzashka et le Pr Wynn Bowen8 concernant cette revue américaine et le souhait d’un débat avec l’Europe sur les orientations US vis-à-vis de la montée en puissance de la Russie. L’OTAN prend la pleine mesure des évolutions de menaces et de doctrines aériennes auxquelles il pourrait être nécessaire de faire face sur des zones de crise, en publiant la toute nouvelle Stratégie de Puissance Aérienne Interarmées (voir encart 4).
Quelles Perspectives et game changers en Europe : une IAMD modernisée, une capacité de surveillance et d’alerte élargie avec une dissuasion forte ?
Face à ces changements, l’Europe, et la France envisageront des axes de renforcement de leur défense IAMD en lien avec la dissuasion car il s’agit d’enjeux de souveraineté, vis-à-vis de la sécurité des territoires, des espaces aériens voire de l’espace. Il faut aussi que certains pays confirment leur rôle dans les actions extérieures, tout comme dans les mécanismes de command control pour la protection des territoires et des espaces aériens au sein de l’OTAN, sans oublier les aspects économiques et industriels. Plusieurs thèmes d’effort pourraient être envisagés :
- Continuité et renforcement du C4I de l’OTAN, de Ballistic Missile Defense (BMD) et IAMD et de sa résilience.
- Renforcement de la capacité d’alerte et de surveillance, aérienne, spatiale et antimissile complémentaire de la dissuasion. Quid des systèmes d’alerte spatiaux et radar ?
- Renforcement des capacités de dissuasion (aérienne et balistique maritime) pour des pays comme la France et la Grande Bretagne.
- Amélioration des capacités d’interception des missiles IAMD multi menaces (aériennes, missiles balistiques manoeuvrants et hypersoniques) et renforcement des performances et de la résilience des systèmes C2 et des conduites de tir radar qui assurent la précision d’engagement et de guidage des systèmes de missiles IAMD. Ces systèmes jouent un rôle autant dans la sureté des espaces aériens et la protection de sites et zones sensibles en Europe, que pour assurer la protection sur des zones de déploiement extérieurs.
Encart 1 : Le rôle stratégique de la défense aérospatiale russe
Par Ivanka Barzashka (27 mars 2018)
Traduction Luc Dini
Ivanka Barzashka dirige un projet sur la défense aérospatiale et les risques nucléaires au Centre des études scientifiques et de sécurité du King’s College de Londres. L’étude se concentre sur la compréhension de l’évolution de la relation entre l’attaque et la défense entre les États-Unis, l’OTAN et la Russie.
Elle comprend une série de wargames, dont le second s’est déroulé en février 2018 à l’Académie de Défense britannique.
Le système de défense aérospatial russe est “l’un des éléments les plus importants” de la stratégie de défense russe car il porte, avec les armes nucléaires, une “responsabilité particulière” pour assurer la sécurité de la Russie, selon les mots du président Vladimir Poutine. Le président Poutine a déclaré à plusieurs reprises que “la parité stratégique et l’équilibre des forces” dépendent dans une large mesure des forces de défense aérospatiales.
Le système en cours de développement est plus qu’une modernisation des défenses antimissiles à tête nucléaire de l’ère de la guerre froide autour de Moscou. Le système d’aujourd’hui est davantage décrit comme un système “contre aérospatial” que comme un simple système de “défense” aérospatiale, puisqu’il vise à intégrer les capacités de défense aérienne, de défense antimissile, antisatellite et de guerre électronique.
La stratégie et la posture de la défense aérospatiale russe ont considérablement évolué depuis la fin du Traité (ABM) sur les missiles antibalistiques en 2001, qui limitait les déploiements antimissiles américains et russes, et en particulier depuis que le président Dmitri Medvedev a créé les Forces de Défense Aérospatiales en 2011. Le président Poutine a décidé la fusion de ces forces avec la composante offensive de l’armée de l’air en 2015 pour permettre des opérations militaires en Syrie, ce qui marque un changement important du rôle stratégique des défenses russes.
L’intégration des capacités offensives et défensives est une pierre angulaire de la stratégie militaire russe et concerne à la fois ses dimensions nucléaires et non nucléaires. L’importance de la défense aérospatiale dans la stratégie militaire russe est évidente dans la politique déclaratoire russe et dans le budget de la défense nationale, qui accorde une haute priorité au programme de défense aérospatiale. Aujourd’hui, le système de défense aérospatiale contribue à apporter des solutions à trois problèmes stratégiques existants et en évolution, auxquels la Russie est confrontée.
Premièrement, les défenses russes aident à atténuer le risque stratégique posé par l’utilisation potentielle de moyens d’attaque aérospatiaux nucléaires et non nucléaires, principalement par les États-Unis et d’autres puissances majeures, en renforçant la dissuasion stratégique de la Russie. Les défenses des forces nucléaires stratégiques et des centres de commandement sont utilisées pour accroître leur capacité de survie et garantir des représailles nucléaires contre l’adversaire. Les défenses déployées près des frontières de la Russie visent à imposer des coûts inacceptables à un adversaire qui envisage des attaques stratégiques avec des armes conventionnelles de précision.
Deuxièmement, les défenses contribuent aux ambitions de la Russie pour jouer un rôle majeur dans le monde en fournissant des capacités de combat. Cela est évident dans l’emploi par Moscou des forces aérospatiales en Syrie au profit des forces de corps expéditionnaire et de la projection d’un pouvoir d’influence régionale en faveur des alliés de la Russie.
Troisièmement, les défenses aident la Russie à peser sur les affaires mondiales par des moyens non militaires en prouvant son influence politique. Cela permet à Moscou de rechercher la parité stratégique avec les États-Unis et l’OTAN et potentiellement, d’ouvrir la porte à un accord de contrôle des armements couvrant à la fois les capacités offensives et défensives.
En aidant à relever ces défis de manière simultanée et cumulée, les dirigeants russes perçoivent la défense aérospatiale comme une contribution à la restauration de la stabilité stratégique qui, selon eux, s’érode depuis l’effondrement de l’Union soviétique par l’unilatéralisme américain, leur domination militaire et leur avance technologique dans l’armement.
Encart 2 : Défenses IAMD russes
par Dr Igor Sutyagin, Royal United Services Institute
Traduction Luc Dini à partir de l’article du Dr I. Sutyagin dans le tiré à part édité par CEAS et 3AF pour la conférence internationale IAMD de 3AF Stockholm, juin 2017.
La nécessité de l’intégration de la défense aérienne et antimissile est apparue à l’origine en Union soviétique au début des années 1960, en raison d’une vision prédominante de l’armée soviétique sur l’emploi opérationnel des missiles balistiques tactiques. Cette vision soviétique, reflétée par l’OTAN, a fait du développement du système tactique de défense antimissile balistique (TBMD) un besoin opérationnel prioritaire - ce qui a déclenché le développement de la famille des systèmes de défense antiaérienne S-300 en 1969. Un membre particulier de cette famille, le système de défense antiaérienne S-300V (forces terrestres), également connu sous le nom de SA-12A / B à l’Ouest, a été spécifiquement conçu pour fournir à la fois les défenses aériennes et ATBM des forces terrestres soviétiques. Ce fut le premier système soviétique spécifiquement conçu pour assurer la défense antimissile aérienne et balistique intégrée (IAMD).
Plus tard (à partir de 1975 et surtout après la guerre du Golfe de 1990-1991), la mission de défense ATBM sur le champ de bataille ainsi que la défense contre des cibles quasi-balistiques a été étendue à d’autres systèmes de défense antiaérienne à courte portée. Certains d’entre eux ont été spécifiquement conçus avec cette mission à l’esprit, comme le Pantsyr-S (aka SA-22),qui est le meilleur exemple de cette nouvelle tendance. Alors que le réarmement des troupes avec les nouveaux systèmes progresse, les forces terrestres russes approchent du stade où elles opéreront - à partir du niveau de la brigade et plus haut - des systèmes adaptés pour fournir une défense IAMD sur le champ de bataille.
Pendant ce temps, l’idée d’intégrer les moyens de défense aérienne dans le système ABM de Moscou a focalisé l’attention de Moscou depuis l’annonce des plans de l’OTAN visant à déployer également des missiles Pershing-II (précis car à guidage terminal). C’était la première fois que des missiles balistiques prétendument non stratégiques pouvaient faire une différence stratégique pour la sécurité de l’URSS en général : le Kremlin considérait en effet que l’attaque de Pershing II pouvait décapiter le commandement suprême soviétique et que c’était l’une des missions opérationnelles principales du Pershing-II. Alors que cette perception était fondamentalement erronée, la peur des Pershing-IIs déclencha une véritable secousse sismique dans les postures soviétiques vis-à-vis des capacités requises pour les systèmes de défense aérienne stratégique. La capacité d’engager des missiles balistiques à portée intermédiaire est alors devenue la norme pour les futurs développements des systèmes de défense aérienne à longue portée, cette exigence un héritage de l’Union soviétique pour la Russie. Compte tenu des similitudes de conception entre l’intercepteur SA-12B (missile surface-air 9M82) et l’intercepteur de missiles balistiques à courte portée PRS-1 (ABM-3A Gazelle) du système ABM de Moscou, le SA-12 était le premier candidat à une défense antimissile aérienne et balistique intégrée (IAMD). Les brigades de défense antiaérienne des troupes terrestres russes équipées de SA-12 sont actuellement chargées de coopérer avec les moyens de défense aérienne stratégique en contribuant à l’IAMD pour la protection des zones administratives et industrielles clés de la Russie. Les développements d’un autre membre de la famille S-300 originale, le S-300P (alias SA-10) et ses dérivés (SA-20 et S-400, alias SA-21) de la défense antiaérienne stratégique ont également contribué à la capacité TBMD du milieu des années 1990 aussi.
Ces réalisations techniques ont été suivies par des changements organisationnels dans les forces de défense russes, qui ont abouti à la création de la 1ère Armée de défense antimissile et de défense antimissile balistique russe de Moscou, construite autour du système ABM de Moscou et des SA-20 / SA- 21 unités duales, compatibles d’une capacité ATBM. Cela signifie que la zone de défense aérienne de Moscou exploite actuellement le premier système de défense antimissile aérienne et balistique entièrement intégré dans le monde.
Encart 3 : La Revue de Politique et de Posture Missile Defense US (programmée depuis 2017)
Traduction Luc Dini à partir de l’article du Dr Brad Roberts dans le tiré à part édité par CEAS et 3AF pour la conférence (Juin 2017). “ IAMD in Europe ” : complexity consensus, challenges ” Traduction L. Dini
Brad Roberts est directeur du Centre for Global Security Research du Lawrence Livermore National Laboratory. De 2009 à 2013, il a été Sous-secrétaire adjoint à la défense pour la politique nucléaire et de défense antimissile des États-Unis et, à ce titre, il a été co-directeur de la Revue de défense antimissile balistique de l’administration Obama. Les opinions exprimées ici sont ses opinions personnelles. Cet article résume les arguments avancés par Roberts, “Anticiper l’examen 2017 de la politique et de la posture américaines de défense antimissile”, dans Thomas Karako, éd., Missile Defence and Defeat: Considérations pour la nouvelle revue politique (Washington, DC: Center for Strategic and International Études, 2017).
Parmi ses toutes premières actions dès janvier 2017, le président Trump a demandé au ministère de la Défense de mener une série de six examens de la politique et de la posture de défense, dont un examen de la défense antimissile balistique. Ceci faisait suite aux directives du Congrès pour mener un examen qui examinerait de manière générale les défis pour tenir en échec les missiles ennemis.
L’examen devrait englober les principaux éléments suivants.
Il débutera par un examen des informations sur l’environnement de la menace. Cela se fera à la fois en amont et en aval - pour évaluer les développements depuis 2009 et prévoir les développements au cours de la prochaine décennie. Il est susceptible de caractériser une menace qui est devenue plus complexe et diverse, y compris l’émergence croissante de la menace des missiles de croisière. La menace des missiles russes contre l’OTAN est un nouveau développement majeur depuis 2009.
Cet examen évaluera vraisemblablement aussi le Programme de référence de 2017 pour l’acquisition de nouvelles défenses antimissiles. Ce programme reflète les décisions de l’ère Obama d’étoffer la défense du territoire et les postures régionales de défense antimissile en complétant le déploiement de 44 intercepteurs basés au sol et en continuant à augmenter les forces régionales déployées. La façon de se prémunir contre la possibilité d’une croissance future de la menace sera un élément clé, ce qui conduira à d’autres discussions sur un nouveau site de missiles aux États-Unis.
Le troisième volet principal sera un examen du contexte budgétaire. Les budgets consacrés à la défense antimissile ont diminué de 14 % au cours de la dernière décennie, ce qui a eu un impact majeur sur les investissements dans les capacités avancées. L’allégement budgétaire est promis. Mais cela peut s’avérer difficile à réaliser.
Le quatrième volet sera un examen du contexte politique. Le consensus bipartite en faveur de la défense antimissile a été la clé de la continuité des progrès au cours des deux dernières décennies. Mais ces progrès ne constituent pas un fossé large et profond. Il a été construit autour d’un engagement pour la protection de la Nation contre des frappes limitées par des pays tels que la Corée du Nord. La majorité républicaine a récemment révisé la loi pertinente, en désignant le terme “limité” et en engageant les États-Unis à rechercher une défense robuste et à plusieurs niveaux de la Nation. Que ce soit politiquement viable à long terme est une question qui reste ouverte.
Le cinquième volet principal sera un examen de la politique. Les principales priorités énoncées dans le Rapport d’examen de la défense contre les missiles balistiques de 2010 seront examinées et débattues. Bien qu’ils aient bénéficié d’un large soutien bipartite au début de l’administration Obama, chaque nouvelle administration doit mettre son empreinte sur les agendas hérités, en partie en définissant ses propres priorités politiques. Mais il y a eu beaucoup plus de continuité dans la politique nationale que de changement au cours des deux dernières décennies, malgré des changements majeurs à la Maison Blanche, et on peut s’attendre à davantage de continuité, avec quelques changements.
En ce qui concerne la défense du territoire national, les questions clés sont susceptibles d’être les suivantes. Premièrement, jusqu’où les Etats-Unis peuvent-ils pousser le critère “limité” en pratique, compte tenu des financements et des technologies disponibles? L’administration Trump devrait-elle demander la protection de la nation américaine contre les frappes de la Russie et de la Chine (une position rejetée par les trois administrations précédentes, arguant que cela risquerait de compromettre leur stabilité stratégique et ne serait en aucun cas viable)? Et si l ‘administration décide de ne pas chercher une telle protection, poursuivra - t - elle les efforts des administrations précédentes pour assurer Moscou et Pékin de l’ intention stratégique des États - Unis (efforts qui ont été en grande partie non récompensés)?
La deuxième question clé de la défense nationale sera de savoir si et comment conserver l’engagement de 2009 de maintenir la position actuellement avantageuse vis-à-vis de la Corée du Nord et de l’Iran. Au fur et à mesure que l’un ou les deux développeront et déploieront des missiles à longue portée, le rapport actuel d’environ 40 intercepteurs à zéro ICBM commencera à changer. Si la Corée du Nord et / ou l’Iran se lancent dans une telle construction, que peuvent et doivent faire les États-Unis pour rester en tête? Et jusqu’où devraient-ils vouloir le rester? Et si les Etats-Unis poursuivent une construction de BMD robuste, que peuvent espérer les Etats-Unis de la part de la Chine (et de la Russie)?
En matière de défense régionale, la question centrale sera de savoir comment s’appuyer sur l’approche progressive et adaptative en Europe (EPAA), en Asie du Nord-Est et dans le golfe Persique. En Europe, la phase 3 de l’EPAA sera terminée d’ici un an. Comment la posture de défense antimissile européenne devrait-elle continuer à évoluer, voire pas du tout? La défense territoriale contre les menaces du Moyen-Orient est-elle “suffisante” ou l’OTAN a-t-il également besoin d’une protection contre les missiles de théâtre contre les nouvelles menaces balistiques et de missiles de croisière en provenance de Russie? Bien sûr, cette question ne peut être résolue sans la participation des alliés de l’OTAN. En Asie du Nord-Est, des questions majeures se posent sur la manière de renforcer la coopération trilatérale (entre les États-Unis et ses deux alliés, le Japon et la Corée du Sud) et sur le rôle futur de l’intercepteur antimissile avancé du développement conjoint entre les États-Unis et le Japon (SM3 B2A).
Des questions sur le lieu et la manière de déployer cet intercepteur sont directement liées à des questions difficiles concernant le rôle que la défense antimissile régionale devrait jouer vis-à-vis de la Chine. Ces questions ne peuvent pas non plus être résolues sans la participation des alliés américains.
Ces cinq volets se réuniront au cours de l’année 2018 (et non 2017 comme cela était prévu initialement), conduisant à un rapport à l’automne 2018 ou à l’hiver 2018 exposant les priorités politiques de l’administration et ses décisions sur la manière de développer les défenses antimissiles américaines et alliées. Il y a de bonnes raisons de s’attendre à beaucoup de continuité par rapport au rapport de 2010, avec ses deux engagements à la défense du territoire et de la région, à la coopération avec les alliés et à la stabilité stratégique.
Mais il y a aussi de bonnes raisons de s’attendre à plus de changements qu’à la continuité. Au sein du Parti républicain, il y a un important groupe d’opinion pour s’éloigner de l’engagement du critère “limité” de défense de la Patrie. En outre, il est clairement nécessaire d’adapter les stratégies, politiques et architectures régionales de défense antimissile aux nouveaux défis posés par la Russie et la Chine. Mais faire de grands changements à la stratégie, à la politique et aux capacités de défense antimissile des États-Unis est plus facile à dire qu’à faire. L’argent est limité. La technologie est encore plus contraignante. Les relations avec les alliés peuvent être des catalyseurs essentiels de la stratégie et de la politique des États-Unis, mais aussi des contraintes critiques. De plus, le pouvoir exécutif n’est qu’un acteur sur ce sujet. Le Congrès a des opinions bien arrêtées sur ces questions et, quelles que soient ses préférences politiques, l’administration Trump ne peut obtenir le financement demandé qu’à travers un processus de consultations soutenues avec les parties prenantes du Congrès.
Encart 4: Stratégie OTAN en matière de puissance aérienne interarmées
Extrait de la stratégie exposée sur le site de l’OTAN le 26 Juin 2018(https://www.nato.int/cps/en/natohq/news_156372.htm)
“ Les forces aériennes de l’OTAN doivent être en mesure de se défendre face à un adversaire de force égale et d’anticiper le rôle croissant des moyens cyber et spatiaux : c’est ce qu’indique la stratégie OTAN en matière de puissance aérienne interarmées, rendue publique ce mardi (26 juin 2018). Depuis des décennies, la puissance aérienne joue un rôle central dans la défense collective et la gestion de crise à l’OTAN, mais cette stratégie est la première du genre depuis la création de l’Organisation en 1949.
“ Depuis près de 70 ans, la puissance aérienne est un élément central des capacités militaires de l’OTAN. De l’exercice de la dissuasion face à l’Union soviétique pendant la Guerre froide à la lutte contre le terrorisme international dans les déserts d’Afghanistan, en passant par les opérations des années 90 dans les Balkans, la puissance aérienne a permis d’assurer la protection de nos populations et d’atteindre nos objectifs politiques ”, a déclaré la porte-parole de l’OTAN, Oana Lungescu. “ Alors que nous prenons des mesures pour renforcer la préparation des forces armées au sein de l’Alliance, cette stratégie nouvellement établie permettra de garantir que les forces aériennes des Alliés restent des forces de premier plan au niveau mondial, des forces flexibles et parées à toute éventualité ”, a-t-elle ajouté.
Cette nouvelle stratégie présente l’environnement de sécurité actuel et futur dans lequel les forces aériennes des Alliés sont susceptibles d’évoluer. Durant des décennies, les opérations aériennes ont pu être menées en l’absence d’adversaire de taille. Faisant le constat que cette période pourrait bientôt appartenir au passé, la stratégie met en garde contre le fait que les systèmes modernes de défense aérienne, la cyberguerre et la guerre électronique pourraient avoir un impact sur les opérations aériennes de l’OTAN. Ce document montre également combien la puissance aérienne aura à gagner d’un meilleur soutien de la part des forces spéciales, des unités maritimes et des unités cyber au travers du renseignement, de l’appui au ciblage et des évaluations post-frappe.
Selon la stratégie OTAN, les forces aériennes des Alliés doivent être en mesure de combattre sur tous les terrains et dans tous les environnements, y compris dans un espace aérien puissamment défendu et fortement encombré. Les opérations aériennes actuellement menées par l’OTAN se poursuivront, et ce document constitue un cadre pour l’élaboration de doctrines et le développement de nouvelles capacités en matière de puissance aérienne. Le dernier document de ce type, à savoir la stratégie maritime de l’Alliance, a été rendu public en 2011.” ?
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