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Général Henry de Roquefeuil, Conseiller Militaire du Président du CNES
Le général de corps aérien Henry de Roquefeuil, après l’Ecole de l’air, est breveté pilote de chasse en 1976. Il effectue une carrière opérationnelle sur les bases aériennes de Nancy (Mirage III E), Dijon (Mirage 2000 DA) et Luxeuil (Mirage 2000 N).
Il assume les commandements de la base aérienne 133 de Nancy, du Centre d’expériences aériennes militaires de Mont-de-Marsan et du Commandement Air des Systèmes de Surveillance, d’Information et de Communications.
Spécialiste de la préparation de l’avenir, il est affecté comme aide de camp du ministre de la Défense, à l’état-major des forces aériennes stratégiques, à l’état-major de l’armée de l’Air et à l’état-major des armées.
Il termine sa carrière militaire comme chef du Service d’Architecture des Systèmes de Forces à la Délégation Générale pour l’Armement.
Depuis 2009, le général de Roquefeuil est conseiller militaire du Président du CNES et coordinateur de l’Equipe Défense.
Il totalise 4.100 heures de vol. Marié et père de trois enfants, il est commandeur de la Légion d’Honneur, Grand Officier de l’Ordre National du Mérite et décoré de la Médaille de l’aéronautique.
Jean-Pierre Sanfourche : Pourriez-vous exposer l’organisation de la conduite des affaires spatiales militaires en France : l’articulation des responsabilités et des relations entre le CNES, le Commandement Interarmées de l’Espace, la DGA et l’Industrie spatiale ? Le schéma actuel est-il entièrement satisfaisant ou ressentez-vous la nécessité d’apporter des améliorations ?
Henry de Roquefeuil – À l’État-Major des Armées (EMA), c’est avec le Commandement Interarmées de l’Espace (CIE) que le CNES a le plus de relations car le CIE représente l’EMA pour toutes les questions relatives à l’espace et relevant du domaine de compétence des armées. Par ailleurs, nous sommes en relations très étroites avec la Direction Générale de l’Armement (DGA) pour la conduite des programmes militaires et pour le choix des développements technologiques dans le cadre de la gestion de la ligne budgétaire 191. Mais au sein du ministère des armées, nous avons également des contacts avec la Direction Générale des Relations Internationales et de la Stratégie (DGRIS) dans le cadre de nos coopérations internationales. C’est ce tissu de liens qui garantit l’efficacité et la cohérence de notre action au profit des programmes spatiaux militaires.
Dans la pratique, a été créée une équipe Défense qui comprend trois officiers du CIE, trois ingénieurs de la DGA et deux personnes du CNES. Elle se réunit plusieurs fois par mois pour étudier les options relatives à la préparation de l’avenir et faire le point sur les programmes en cours ; elle présente ses travaux devant un Comité de Pilotage co-présidé à haut niveau.
Le CNES dispose des compétences et du champ d’activités pour gérer la dualité civilo-militaire; cette dualité est une source d’économies pour le ministère des Armées.
À l’expérience, je dois dire que nos relations avec les instances militaires sont excellentes, les rôles de chacun étant parfaitement complémentaires.
JPS : Comment la conduite technique des projets spatiaux militaires est-elle organisée au sein du CNES ? Les effectifs actuels sont-ils suffisants ?
HdR – Le CNES est présent dans les programmes spatiaux militaires de deux façons : soit la DGA lui en délègue la maîtrise d’ouvrage comme c’est le cas pour le segment spatial de CSO (Composante Spatiale Optique), soit des ingénieurs du CNES sont intégrés dans une équipe « projet » managée par la DGA. Dans un cas comme dans l’autre, les rapports sont très étroits.
Le CNES a fait le choix de ne pas mettre en place un département d’affaires militaires, spécifiquement chargé des programmes spatiaux de défense : les ingénieurs du centre spatial de Toulouse sont répartis dans les équipes « projets » ce qui permet de valoriser la dualité des technologies et des compétences. A l’heure actuelle, il y a environ 250 personnes qui travaillent sur des projets militaires ou duaux, c’est dire l’importance de cette activité au sein du CNES.
JPS : Dans le domaine de l’observation spatiale :
- Comment l’exploitation des satellites Hélios IIA et Hélios IIB se poursuit-elle ?
- Quel est l’apport des deux satellites Pléiades aux forces armées ?
- Comment le programme CSO (Composante Spatiale Optique) se déroule-t-il à l’heure actuelle : CSO- 1, CSO- 2 puis CSO-3 ?
- La DGA avait tenté de fédérer les besoins de plusieurs pays à travers le programme MUSIS (Multinational Space Imaging Systems for Surveillance), mais ce fut sans succès. Est-il dans l’intention de la DGA de relancer ce projet ?
HdR –
Hélios - Les satellites Hélios IIA et IIB ont été lancés en décembre 2004 et décembre 2009 par des lanceurs Ariane 5. Placés tous deux sur une orbite héliosynchrone, ils continuent à fonctionner parfaitement, envoyant des images de très haute résolution en visible et en infrarouge (IR). Le CNES est l’opérateur de ces satellites dont le centre de maintien à poste se situe sur le Centre Spatial de Toulouse. Cela signifie que le CNES récupère des armées les demandes de missions de ces satellites et charge ces programmations dans les mémoires des satellites par télécommande.
Pléiades – Pléiades est un système d’imagerie à très haute résolution capable de prendre un cliché de n’importe quel point du globe chaque jour. La constellation est constituée de deux satellites placés sur la même orbite héliosynchrone : les satellites Pléiades ont été lancés en décembre 2011 et décembre 2012 par des fusées Soyouz. la constellation peut fournir près de 1000 images par jour, de résolution 70 cm. Comme pour Hélios, les satellites ont été réalisés par Airbus DS et Thales Alenia Space. Les images Pléiades militaires sont reçues directement par les armées qui bénéficient d’une priorité de programmation ; quant aux utilisateurs civils, ils les reçoivent d’Airbus Géo Informations Services qui les commercialise via une délégation de service public du CNES. Voilà un exemple typique de l’aspect « dual » que j’évoquais précédemment.
Contrairement à Hélios, Pléiades n’a pas la capacité infrarouge (IR). La résolution de ses images est inférieure à celle d’Hélios. Mais ses images sont en couleur et la très grande agilité du satellite permet de multiplier le nombre de prises de vues sur un passage au-dessus d’un théâtre d’opérations. Cette agilité est extrêmement précieuse pour les forces armées.
Composante Spatiale Optique (CSO) – Organisation CNES/DGA/EMA – Le CNES est maître d’ouvrage du segment spatial dont les maîtres d’œuvre industriels sont nos deux champions nationaux, Airbus DS et Thales Alenia Space. CSO comprendra trois satellites identiques qui utiliseront une plateforme de même forme que celle de Pléiades mais plus lourde (3,6 tonnes) et mettant en jeu les technologies optiques les plus avancées : un grand défi technologique ! Il aura la capacité visible et infrarouge (IR), et une capacité d’imagerie au moins égale à 280 i/j.
- CSO-1 est prévu pour être lancé fin 2018. Doté d’une Extrêmement Haute Résolution (EHR), la Mission Reconnaissance lui sera confiée.
- CSO-2 est prévu pour être lancé mi-2020. Placé sur une orbite plus basse que CSO1, sa résolution sera meilleure ; il se verra ainsi confier une mission d’identification.
- CSO-3 a pu être décidé grâce à la contribution de l’Allemagne qui, en retour, bénéficiera d’un accès aux images de la constellation. Il est prévu d’être lancé en 2021-2022 à la même altitude que CSO-1.
- MUSIS (Multinational Space Imaging for Surveillance) : Pour MUSIS, la Défense, responsable des coopérations pour les programmes militaires, n’est pas parvenue à monter une coopération avec nos partenaires allemand et italien qui renouvelaient leurs composantes radars. La coopération sera donc opérationnelle avec des échanges d’images mais le projet d’intégration de programmes n’a pas pu aboutir.
JPS : Dans le domaine des télécommunications spatiales sécurisées :
- Comment le système ATHENA-FIDUS complète-t-il Syracuse ?
- Où en est le programme COMSAT-NG destiné à assurer le remplacement de Syracuse ?
HdR – Le satellite Athéna-Fidus (Access on Theatres for Nations Allied forces – French Italian Dual Use Satellite) est un satellite dual franco-italien qui fournit des services de télécommunications à haut débit aux forces militaires et aux services de sécurité civile français et italiens. Développé par Thales Alenia Space sous maîtrise d’ouvrage du CNES, il a été lancé le 6 février 2014 par une fusée Ariane 5 ECA et mis en service le 14 mars 2014. Il pèse 3 tonnes et il est placé sur une orbite géostationnaire. Il est prévu pour une durée de vie de 15 ans.
Même si ce satellite est issu d’une collaboration franco-italienne, chaque pays dispose de sa propre partie de la charge utile.
Le système permet de transmettre via des stations au sol déployables de la voix, des images ou des données. Sa conception, basée sur des technologies civiles, a permis de concilier un coût de réalisation très intéressant et un débit maximum.
Syracuse (Système de Radiocommunications Utilisant des Satellites) est un programme français de communications militaires mettant en œuvre des satellites et des segments sol. Il permet d’assurer l’ensemble des communications militaires entre la France et les unités déployées sur les théâtres d’opération. Il participe à la conduite des opérations pour le Commandement, le Renseignement et la Logistique.
Faisant suite à Syracuse 1 et Syracuse 2, Syracuse 3 satisfait les besoins opérationnels des armées en matière de communications à longue distance, sécurisées et résistant à la menace IEM (impulsion électromagnétique). Les installations, autant spatiales qu’au sol, sont la propriété exclusive de l’EMA, ce qui assure à l’armée française son autonomie en matière de communications par satellite.
Syracuse 3 consiste en une constellation de 2 satellites lancés en 2005 et 2006. Par ailleurs, les armées disposent d’une capacité de communications sur le satellite Sicral 2 réalisé en coopération avec les italiens.
Anciennement connu sous le nom de ComSat NG, Syracuse 4 est appelé à succéder au système Syracuse 3. Ses 2 satellites de nouvelle génération (NG) fonctionneront en bandes X et Ka avec des performances accrues, non seulement en termes de capacité de communication, mais aussi en termes de flexibilité et de résistance au brouillage.
Ces deux satellites ont été commandés par la DGA à Thales Alenia Space et Airbus Defence and Space en décembre 2015. Ils seront lancés en 2020 et 2021/2022.
JPS : Dans le domaine de l’écoute :
- Quelle est la situation du programme CERES (Capacité d’Ecoute et de Renseignement Electromagnétique Spatial) : l’objectif de lancement de 3 satellites avec un lanceur Véga à l’horizon 2020 est-il confirmé ?
HdR – Basé sur les technologies développées dans les programmes de démonstrateurs Essaim et Elisa, CERES va consister en un ensemble de 3 satellites évoluant « en patrouille », si je puis dire, et d’un segment sol utilisateur.
Ce sera la première fois que la France disposera de moyens spatiaux opérationnels pour la fonction d’écoute et de renseignement. Ce système spatial permettra à notre pays de collecter, en tout temps et sans problématique de survol, du renseignement d’origine électromagnétique (ROEM) sur des zones inaccessibles par des capteurs aériens ou de surface.
La DGA a confié ce programme à Airbus Defence and Space, Thales Alenia Space et Thales Systèmes Aéroportés.
La maîtrise d’ouvrage de CERES est assurée par la DGA qui a confié au CNES la mission de négocier l’acquisition du segment sol de contrôle et les services de lancement.
Le lancement de ces trois satellites avec une fusée Véga est programmé fin 2019/ début 2020.
JPS : Quels sont les programmes militaires liés à l’utilisation du GPS et très bientôt de Galileo ?
HdR – Pratiquement tous les systèmes d’armes des forces armées françaises utilisent le GPS actuel. Dans les années à venir, elles vont devoir « intégrer » le GPS de nouvelle génération et le système européen Galileo. Cela va être un gros défi à relever !
Ces deux constellations, GPS NG et Galileo seront plus précises bien sûr, mais surtout leur complémentarité permettra d’offrir un service plus résilient. C’est le gain en résilience qui doit être souligné.
JPS : Quelles sont les mesures prises en matière de cyber sécurité ?
HdR – Tous les systèmes informatiques sont vulnérables à des cyber-attaques. Ainsi en est-il des programmes spatiaux – et en particulier des moyens spatiaux militaires. Ces risques sont pris en compte dans l’analyse du besoin et les dispositifs de prévention les plus efficaces sont intégrés dès le stade préliminaire de leur conception.
JPS : Quelles nouvelles propositions, le CNES prévoit-il de formuler dans le cadre de la nouvelle Loi de Programmation Militaire (LPM) ?
HdR – Tout d’abord, je voudrais préciser que ce sont les services du ministère des armées qui préparent la LPM. Le CNES apporte simplement son expertise en soutien de l’EMA et de la DGA.
La future LPM qui sera votée au début de l’été 2018, couvrira les années 2019-2025. Comme vous l’avez noté, l’ensemble des capacités ROIM, ROEM et SatCom seront renouvelées au cours de cette période. Aussi, la LPM devra prévoir les travaux préparatoires (R&T et démonstrateurs) pour la génération suivante de ces systèmes et se positionner sur deux sujets clés, la surveillance de l’espace et l’alerte avancée.
JPS : Quel rôle le CNES pourrait-il jouer dans le processus d’européanisation de la Défense ?
HdR – Dans le cadre des initiatives qui pourraient être prises par l’Union européenne pour organiser une défense plus intégrée, le CNES bien évidemment apportera un soutien sans faille au ministère des armées. La coopération internationale est dans notre ADN ! Le CNES est prêt à travailler en parfaite intelligence avec tous les pays européens pour développer les programmes spatiaux militaires et renforcer ainsi l’Europe de la Défense. Mais, encore une fois, je rappelle que l’initiative de la coopération pour les programmes militaires appartient à la Défense.
JPS : En conclusion, comment résumeriez-vous en quelques mots la façon dont l’Espace fait évoluer en profondeur l’Art de la Guerre ?
HdR - Ce sujet à lui seul mériterait un livre ! Comment répondre brièvement à cette question ?
L’Espace en réalité n’a pas fait évoluer l’art de la guerre, il l’a transformé en profondeur. Ce n’est pas d’une évolution dont il s’agit, mais bien d’une révolution.
L’Espace est devenu indispensable à toutes les opérations interarmées et aux actions de chacune des forces. On constate que toutes les armées, en France comme chez nos alliés, sont devenues dépendantes des capacités spatiales pour leurs opérations ; l’Espace devient ainsi une vulnérabilité.
Protéger les moyens spatiaux militaires contre toutes les attaques possibles, voilà une nouvelle préoccupation qui devra être traitée avec la plus grande rigueur aussi bien dans la conception des systèmes que dans le concept d’opérations de ces moyens. ?
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