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On a photographié sur la Lune

21 juillet 2019 Lettre 3AF
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Buzz Aldrin photographié par Neil Armstrong.

Victor Martin Malburet a participé activement à la conception de l’exposition « Lune : du voyage réel aux voyages imaginaires au Grand Palais » visible jusqu’au 22 juillet 2019. Les clichés de cet article proviennent de sa collection et sont présentés dans cette exposition.

Avant l’invention de la photographie, les hommes comptaient sur le langage, l’écriture, la peinture et autres moyens de représentation pour rendre compte d’événements historiques ou d’explorations pionnières. C’est depuis bientôt deux cents ans que la photographie permet de s’emparer de la lumière de ces événements pour les figer dans le temps.
 
C’est aussi la photographie qui a permis à l’astronomie de se développer, en capturant une information lumineuse jusque-là non disponible et en tissant dès ses débuts des liens étroits avec l’espace.
 
Le 20 juillet 1969 à 21h56 heure de Houston, cinq cents millions de Terriens suivirent en direct à la télévision le premier pas de Neil Armstrong sur la Lune lors de la mission Apollo 11. 
 
C’était « un pas vers l’immortalité », déclara Wernher von Braun, le génie scientifique à l’origine du programme de la fusée Saturne V, « car l’homme prouvait désormais qu’il pouvait atterrir sur d’autres corps célestes, y vivre et y travailler ». 
 
Cependant les images télévisées noir et blanc d’Armstrong et Aldrin, floues et fantomatiques, paraissaient presque irréelles à ceux qui assistaient à cet exploit quasi inimaginable, abasourdis devant leur écran de télévision à 380 000 km de là. 
 
Ce furent véritablement les photographies rapportées sur pellicule par les astronautes et publiées seulement à partir du 30 juillet 1969 en une des journaux du monde entier, soit près d’une semaine après leur retour sur Terre, qui révélèrent au public la réalité et la beauté du voyage dans l’espace et du monde lunaire.
 
Dans notre ère digitale, il est difficile de se souvenir que l’âge d’or de la conquête spatiale, avec ses incroyables avancées techniques, correspond à une époque où l’information n’était pas instantanée et où la photographie était encore analogique, ce qui nécessitait des supports chimiques, films et papiers, sensibles à la lumière, et que le support papier restait le moyen de prédilection pour regarder les images, les diffuser et les étudier scientifiquement. 
 
Ainsi, chacun des films exposés dans l’espace était développé, une fois la mission revenue sur Terre, par le laboratoire de technologie photographique du NASA Manned Spacecraft Center à Houston. Dans le cas d’Apollo 11 les films furent mis en quarantaine comme les astronautes et durent subir une fastidieuse et précautionneuse procédure de décontamination. Dupliqué sous forme de « master » – selon la terminologie en vigueur –, le précieux film original était immédiatement archivé et préservé pour les générations futures. À partir des « masters », les photographies étaient tirées, numérotées et analysées par les spécialistes de la NASA. Ces tirages, maillon final de la chaîne photographique, étaient des documents tout à la fois d’étude, de présentation et de communication. Témoignages esthétiques et artefacts historiques dotés de numéros de négatifs, de légendes, de logos de la NASA, de tampons « contrôle qualité » et de marques de tirage de laboratoires, ces photographies constituent le legs visuel d’une époque qui a vu l’homme quitter pour la première fois les limites de sa planète, explorer un autre monde et inaugurer le processus de colonisation de l’espace, ainsi qu’une nouvelle période de l’histoire de la photographie.
 
L’exploration de l’espace et du nouveau monde lunaire, combinée à la technologie photographique la plus sophistiquée de l’époque et à l’inspiration des astronautes-photographes de la NASA, fut ainsi à l’origine d’un vocabulaire visuel absolument nouveau, magnifié par le voyage d’Apollo 11 :
 
Tandis qu’ils quittaient la Terre à bord de la fusée Saturn V, Armstrong, Aldrin et Collins purent admirer la beauté de leur planète depuis l’orbite et se muèrent photographes. Ils avaient reçu entraînement photographique et conseils de la part de spécialistes de la NASA comme Richard Underwood et de photo-reporters de Life ou du National Geographic. 
 
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Lever de soleil sur la terre.
 
Au contraire des explorateurs et des photographes qui étaient jusque-là restés confinés dans les limites de la Terre, ils firent une expérience sensorielle entièrement nouvelle et bénéficièrent de conditions et d’un éclairage inédits pour leurs clichés. Dans l’espace, en effet, la notion d’horizontalité et de verticalité disparaît avec la gravité, il n’y a plus de jour ou de nuit, et rien ne vient filtrer la lumière du Soleil…
 
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La terre pendant le voyage translunaire.
 
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Le module de commande Columbia en orbite lunaire.
 
Allumant le moteur du troisième étage pour l’injection translunaire au terme de leur orbite terrestre, ils firent partie du cercle réduit de 24 hommes dans l’histoire (les 24 astronautes des missions Apollo 8 à Apollo 17 entre décembre 1968 et décembre 1972 excepté Apollo 9) qui quittèrent le champ gravitationnel de la planète Terre et voyagèrent vers la Lune.
 
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Lever de soleil sur la Lune.
 
Ils virent pour la première fois la Terre comme une sphère dans l’espace. Pour leurs yeux seulement, la Terre devenait un corps céleste comme un autre, seul îlot de vie au milieu du noir profond de l’espace.
 
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Le LEM et le lever de terre sur l’horizon lunaire.
 
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Buzz Aldrin et la base de la Tranquillité.
 
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La pleine Lune dans une perspective non visible de la terre.

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La terre émergeant au dessus de l’horizon lunaire.
 
Depuis leur vaisseau en orbite lunaire, ils passèrent de précieux moments à observer un monde jusque-là seulement rêvé et imaginé et prirent en photo les divers « états » de la Lune. Ils photographièrent ainsi sa face visible depuis la Terre avec une résolution et un angle de vue radicalement différents de ceux de l’observation terrestre, révélant des paysages fantomatiques de cratères, de plaines et de montagnes dont l’apparence était menaçante ou séduisante suivant l’inclinaison de la lumière solaire. Les photographies du terminateur (ligne de séparation entre la partie éclairée et la partie obscure d’un astre), étaient particulièrement saisissantes.
 
Les astronautes dévoilèrent sur pellicule les détails de la face cachée de la Lune, divulguant finalement aux Terriens les secrets et les trois dimensions de cet astre pourtant familier ; notamment un paysage tourmenté très distinct de la face visible, avec une surface bombardée par les météorites et très peu de mers lunaires.
 
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Buzz Aldrin photographié par Neil Armstrong.
 
Ils photographièrent également une pleine Lune comme on ne la voit pas depuis la Terre (puisqu’elle n’expose qu’une seule face) et rapportèrent des clichés montrant d’autres hémisphères lunaires.
 
Peu de visions dans l’histoire de l’humanité furent aussi exaltantes et émouvantes que le lever de Terre sur l’horizon lunaire…
Les photographies du nouveau monde lunaire et de sa face cachée étaient déjà fascinantes, mais les photographies du « spaceship Earth » furent pour les astronautes une révélation profonde de ce voyage.
 
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Première photographie prise par Neil Armstrong sur la surface lunaire (non publiée à l’époque).
 
Finalement, Armstrong et Aldrin écrivirent une nouvelle page de l’histoire humaine en explorant la surface d’un autre monde.
 
C’était un monde étranger, hostile, privé d’air, silencieux et vide.
 
En le découvrant, Armstrong, qui devait après son fameux premier pas collecter en priorité un échantillon de roche lunaire dans le cas d’un retour en urgence sur Terre, choisit de prendre d’abord des photographies avec son Hasselblad tendu par Aldrin depuis le cockpit du LEM.
 
Photographier est ainsi la première activité d’un homme sur la surface d’un autre monde.
 
C’était un monde dont le ciel est noir en plein jour car il s’agit du ciel de l’espace, mais un ciel dépourvu d’étoiles car le soleil brille si fort sur la poussière lunaire que son rayonnement masque la lumière des autres astres, excepté la Terre. 
 
Un monde rapetissé où l’horizon paraît tout proche (le globe terrestre possède un diamètre près de quatre fois plus grand que celui du globe lunaire et la Terre pourrait contenir cinquante Lunes en volume). 
 
Un monde d’une clarté absolue (pas d’atmosphère pour filtrer, adoucir ou colorer la lumière du Soleil). 
 
Un monde dépourvu de couleurs si ce n’est des nuances de gris suivant l’inclinaison des rayons du soleil. 
Un monde désolé et sans vie où l’absence de végétation, d’érosion ou d’édifice humain entraîne chez l’explorateur une perte totale des notions de distance, d’échelle ou d’horizon ; Armstrong et Aldrin ne s’éloignèrent d’ailleurs pas de plus de 100m du LEM. « Vous vous tenez là et vous vous dites simplement, je ne crois pas ce que je vois ! », expliquait Eugène Cernan, dernier homme sur la Lune et qui parcourut plusieurs dizaines de kilomètres avec la Jeep lunaire lors d’Apollo 17. 
 
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La terre au dessus du LEM Eagle.
 
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Buzz Aldrin prélevant un échantillon de roche.
 
Un monde où la notion du temps lui-même se trouble puisque le jour et la nuit lunaires durent chacun quatorze jours terrestres.
 
Pour les cerveaux humains inadaptés, un seul point de repère dans ce monde irréel : la planète Terre, toujours fixe dans le ciel lunaire, comme veillant sur ses explorateurs. Selon Cernan, « regarder la Terre, c’était le seul moyen de se raccrocher à la réalité. C’est là d’où vous venez, c’est votre chez vous… Je me demande ce que ça aurait été de marcher sur la Lune et de ne pas avoir la Terre dans le ciel ».
 
Dans ce monde déroutant et dangereux, les astronautes eux-mêmes ressemblaient à des extraterrestres avec leurs combinaisons encombrantes et leurs casques aux visières dorées. La gravité 1/6 rendait leurs mouvements gauches et lents, en même temps qu’aériens ; leurs photographies enregistraient des poses inhabituelles pour nos yeux terrestres. 
 
Chaque pas était un pas dans l’inconnu. Tandis qu’ils mettaient en place des expériences scientifiques ou collectaient des échantillons de roche, ils documentaient leurs activités au moyen de l’appareil Hasselblad fixé sur la poitrine. Ils effectuaient également des prises de vue panoramiques. Initialement réalisés afin que les scientifiques sur Terre puissent reconstituer la localisation et les caractéristiques géologiques des stations lunaires, ces panoramas révèlent la beauté surréaliste des paysages de la Lune.
 
Comme dans d’autres domaines, la NASA a été à l’avant-garde de la technologie en matière de photographie. Sa division de technologie photographique spatiale a été fondée en partenariat étroit avec Kodak, Hasselblad et Zeiss. Pour toutes ces firmes, les exploits extraordinaires de la NASA et de ses astronautes étaient une source incomparable de publicité et leurs meilleurs ingénieurs collaboraient pour fabriquer les films, les appareils et les objectifs adaptés aux contraintes extrêmes de l’espace. 
 
Si la photographie s’est révélée un outil fondamental pour atteindre et explorer la Lune, la NASA s’est vite rendu compte qu’elle était un atout exceptionnel pour promouvoir son programme spatial et imposer le voyage lunaire aux Américains et au reste du monde (la course à l’espace avec les Soviétiques allait mobiliser 4 % du budget fédéral pendant dix ans et les efforts combinés de quatre cent mille ingénieurs et ouvriers). La beauté des images de l’espace allait justifier le voyage lui-même. Le chef de la photographie à la NASA, Richard Underwood, répétait ainsi aux astronautes: «Vous savez, quand vous rentrerez, vous serez des héros nationaux, mais ces photographies, si vous prenez de belles photos, elles vivront éternellement. Votre passeport pour l’éternité est la qualité de vos photographies et rien d’autre!».
 
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Buzz Aldrin posant devant le drapeau des USA.
 
Embrassant le précepte d’Underwood, les astronautes, scientifiques et pilotes de formation trouvèrent dans la photographie le meilleur support pour transcrire à destination du reste de l’humanité la magie et l’exaltation du voyage dans l’espace, leur perception de la beauté irréelle d’un autre monde et le sens profond de leur exploration de l’inconnu.
 
Chacune des photographies rapportées par ces voyageurs privilégiés était l’occasion d’une nouvelle révélation, et certaines d’entre elles figurent parmi les plus célèbres de l’histoire de la discipline.
 
Cependant, le public n’eut pas connaissance de toutes leurs images: après chaque mission, le bureau des relations publiques de la NASA (le « Public Affairs Office », qui gérait la diffusion de l’information et la communication de l’agence) ne publiait qu’une sélection des photographies prises par les astronautes (de préférence celles qui avaient un fort impact visuel et célébraient les réussites de l’agence). Destinées à la diffusion scientifique et à la parution dans la presse, les médias et les livres d’histoire, nombre de ces « photographies publiées » sont devenues des icônes et appartiennent à notre culture visuelle. 
 
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Empreinte de pas sur la Lune.
 
Quant aux photographies non publiées, elles n’étaient accessibles qu’aux chercheurs accrédités dans les archives des différents centres de la NASA (en particulier celui du Manned Spacecraft Center à Houston). Pendant trente ans, jusqu’à leur diffusion virtuelle et leur mise en ligne progressive sur Internet (sites du Lunar and Planetary Institute et du Apollo Lunar Surface Journal), ces « photographies inédites » sont restées quasiment inconnues du grand public, comme de spectaculaires séquences panoramiques prises en orbite et sur la surface de la Lune. Cette sélection a eu pour conséquence une compréhension incomplète des réalisations photographiques de l’agence.
 
D’autre part, la NASA n’a pas non plus saisi à l’époque l’occasion qui lui était offerte de construire un récit sur le voyage dans l’espace, comme l’avaient fait les photographes explorateurs qui avaient voyagé dans l’Ouest américain et en Antarctique. La plupart du temps, les photographies étaient sorties du contexte de la mission et n’étaient pas créditées à l’astronaute qui les prenait mais à la NASA elle-même.
 
En combinant les photographies publiées à l’époque et les photographies « inédites » et en les replaçant dans leur contexte originel au moyen des transcripts des missions, il est possible de mieux appréhender la richesse du patrimoine photographique de la NASA et de donner une nouvelle lecture de la première exploration d’un nouveau monde.
 
Les photographies des astronautes, encore étudiées aujourd’hui par les géologues et les planétologues, fournirent de précieuses informations et donnèrent à l’agence un long héritage scientifique. Mais leur impact dépasse de loin le cadre scientifique.
 
Ainsi, du point de vue de leur impact social et historique, ces images peuvent être comparés à celles des grands photographes américains Mathew Brady, Margaret Bourke-White, Dorothea Lange et Ansel Adams. Lorsqu’elles furent publiées dans la période turbulente de la fin des années 1960 et du début des années 1970, les photographies des astronautes transcendèrent immédiatement les barrières culturelles, politiques et étatiques. C’est toujours le cas de nos jours, et elles continuent de constituer une grande source de prestige pour la NASA. Leur pénétration dans l’inconscient collectif et leur capacité à communiquer sur les exploits de l’agence spatiale américaine sont fascinantes. À l’opposé, le programme spatial soviétique, dont les responsables n’ont pas perçu que des réalisations spatiales extraordinaires exigeaient des photographies extraordinaires, occupe une place réduite dans notre mémoire collective, et ce en dépit de ses grandes premières ; à tel point que l’on peut se demander si la NASA n’a pas décroché la Lune grâce à ses fusées, certes, mais aussi grâce à ses photographies. 
 
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Lever de terre sur horizon lunaire au départ de la Lune.
 
L’art a toujours célébré le pouvoir de l’exploration et le triomphe du génie humain.
 
Aujourd’hui, le talent des photographes explorateurs du XIXe siècle est reconnu. Ils ont produit des images nouvelles et d’une qualité technique supérieure, qui étaient aussi l’expression de leur perception et de leur interprétation face aux paysages qu’ils découvraient.
 
Les astronautes photographes, quant à eux, « ont transporté l’intellect humain, sa vision du monde, sa manière de penser, à 380 000 km de son camp de base. Ce fut cela l’importance du voyage », rappelait Frank Borman, de la mission Apollo 8.
 
Au croisement de l’investigation scientifique et de l’inspiration créatrice, les photographies des astronautes sont une expression de la curiosité humaine, du désir de l’homme d’explorer, de questionner ses origines et de repousser ses limites. Et elles ont changé notre compréhension de la condition humaine et de notre place dans l’univers. ?
 



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