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Intelligence Artificielle, une Intelligence Augmentée au service des entreprises et des managers

25 février 2019 Lettre 3AF
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Quels sont les enjeux business portés par l’intelligence artificielle ? A cette question, une première réponse consiste à fournir des estimations chiffrées. Des cabinets renommés calculent les gains de valeur issus de l’adoption de l’intelligence artificielle par les entreprises et fournissent des projections : ce serait beaucoup, des dizaines de milliers de milliards d’euros à l’horizon 2030. De savants calculs tenant compte des gains en termes de productivité, de temps gagné, de vies gagnées (santé, véhicule autonome, etc.), de nouveaux produits et services stimulant la demande évaluent le nombre de points de PIB additionnels générés par l’IA. Si par définition ces projections sont erronées (c’est le drame du prévisionniste, avoir toujours tort !), une chose est certaine : à termes, l’IA sera source de valeur, son utilisation sera massive et banalisée. 
 
Adoptons ici une seconde approche et abordons les enjeux de l’IA au regard de ses potentialités d’usage dans l’activité quotidienne d’une entreprise. L’IA est un outil puissant permettant de comprendre des situations pour ensuite résoudre un problème, traiter une question complexe, proposer des hypothèses, voire prendre des décisions, grâce à diverses techniques d’apprentissage (supervisées, non-supervisées, par renforcement). Nous structurons notre propos autour des trois moteurs de l’IA : les données, les ressources techniques et les applications (cf. schéma 1).
 
La digitalisation des entreprises à l’origine d’une masse d’information aux caractéristiques inédites 
 
La règle est immuable, quel que soit le domaine : les données sont le carburant de l’intelligence artificielle. De denrées rares, les données sont devenues ressources abondantes. Le phénomène, porté par la digitalisation des entreprises, est récent et déstabilisant.
 
Ainsi, les bases de données possédées par les entreprises se sont enrichies de nouvelles données internes : commandes, achats, contacts avec l’entreprise, service après-vente, visites des pages du site, réponses à une sollicitation, etc. De nouvelles informations externes issues des traces laissées par les individus sur Internet sont librement accessibles : contenus de sites, blogs, tweets, commentaires sous forme de texte, photos, vidéos postés sur un réseau social, avis, etc. Enfin, grâce aux capteurs, caméras, microphones, radars, toute information concernant des individus, objets, chaine de production, machine, pièce d’une machine, etc. est susceptible d’être collectée en temps réel puis tracée.
 
Les récentes possibilités de collectes automatisées ainsi que les gigantesques capacités de stockage et de traitement de l’information (grâce au cloud par exemple) donnent accès à des données présentant 4 caractéristiques : 
1. une granularité d’observation au niveau le plus fin : un individu, un produit, une machine, un courriel, etc. et dans tous les cas, en temps réel ;
2. une variété des formats observés : nombres, texte, image, voix, vidéos, etc. ;
3. un volume important ;
4. et une qualification multi-critères des observations impliquant de nombreuses variables.
 
Ces 4 caractéristiques sont inédites, il faut les apprivoiser : un terrain de jeu pour l’IA.
 
Acquérir des ressources et compétences en IA
 
Quelles sont les entreprises les plus avancées dans l’application de l’IA à des questions managériales ? Tout d’abord, les entreprises ayant acquis une expertise de longue date dans les données (e.g. banques, assurances, télécommunication, services, etc.) possèdent un avantage. Ensuite, les entreprises ayant opéré une transformation digitale rapide en redéfinissant leur business model autour des données s’arment rapidement en compétence IA : par exemple, Valeo a annoncé l’ouverture d’un centre de recherche valeo.ai, IA appliquée à la conduite autonome. 
 
Et actuellement, ce sont les géants américains et chinois du numérique qui possèdent la réflexion la plus aboutie. Ainsi, les GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft) et BATX (Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi) représenteraient 80% des dépenses mondiales en IA. Chez Amazon, plus de 5500 chercheurs et ingénieurs répartis sur 25 centres de développement dans une dizaine de pays travaillent sur l’IA et ses applications. L’IA est tellement moteur qu’un plan stratégique autour de l’IA a été initié. Il est intitulé “ Flywheel ”, volant d’inertie. Pour rappel, un volant d’inertie permet de stocker puis de restituer de l’énergie grâce à un système rotatif. L’énergie stockée augmente avec la masse, elle est proportionnelle au carré de la vitesse de rotation. Avec Flywheel, Amazon veut que la connaissance dans l’IA ne soit pas stockée dans un seul lieu, les labos de R&D. Au contraire, elle doit être partout, les innovations en IA se diffusant dans les différents domaines d’application. En ne cloisonnant pas ses efforts dans l’intelligence artificielle, Amazon favorise les transversalités et les fertilisations croisées en interne … et en externe. En effet, avec sa plateforme Maching Learning Amazon SageMaker, le souhait d’Amazon est de capitaliser sur son expérience et de commercialiser des outils d’IA développés à l’origine pour ses besoins propres. Non seulement cette nouvelle activié est lucrative, mais elle est aussi une manière de consolider l’écosystème Amazon en fidélisant des entreprises aux solutions Amazon (cloud, IA etc.) et en s’imposant face à ses concurrents, Microsoft, Google, IBM. 
 
L’IA ne serait-elle réservée qu’aux grosses entreprises possédant les ressources financières pour investir dans des data lakes, des outils et des équipes de data scientists ? C’est plutôt le cas actuellement. Pourtant, quelle que soit la taille de l’entreprise, des solutions pré-packagées (e.g. IA de compréhension de texte, IA d’analyse de sentiment, etc.) sont disponibles en open source ou auprès d’éditeurs de solutions (start-ups et acteurs du numérique, e.g. IBM, Microsoft, Google ou Amazon). Il faut malgré tout avoir des compétences en propre pour adapter la brique au contexte de l’entreprise. 
 
Il faut aussi être capable de tester régulièrement la robustesse des modèles pour éviter trois risques majeurs. La quantité des données dans le jeu d’apprentissage n’implique pas la qualité. Si les modèles sont entraînés sans précaution sur des données biaisées, ils vont immanquablement reproduire les biais du passé, par exemple la représentativité hommes/femmes, les inégalités salariales, etc. Aussi, l’environnement et les observations évoluent avec le temps. Par exemple, les fraudeurs contournent en permanence les modèles d’apprentissage de détection de fraude par la mise en pratique de comportements totalement inédits. Enfin, le sur-apprentissage risque d’aboutir à des résultats non généralisables.
 
 
Quelques applications : intégrer les fonctionnalités de l’IA afin d’améliorer les performances de l’entreprise
 
Les applications de l’IA dans l’entreprise s’appuient notamment sur les deux grands domaines où l’IA se développe et montre des capacités supérieures à d’autres solutions, à savoir :
• Les fonctionnalités de perception et de communication (IA d’interface) : reconnaissance de langage (parole, texte, langage naturel, etc.), reconnaissance d‘image (faciale, spatiale, etc.). L’IA permet d’observer, de détecter et d’interagir de plus en plus naturellement avec l’homme.
• La modélisation : la résolution de problèmes complexes et analyse prédictive. L’IA est alors utilisée pour optimiser des processus existants, automatiser, détecter, ou prédire.
 
Tous les métiers de l’entreprise sont concernés : production, supply chain, fonctions comptables et administratives, finance, ressources humaines, marketing. Illustrons maintenant par quelques cas récents.
 
 
L’IA, au cœur de la logistique
 
En 2012, Amazon déclenche une révolution robotique en rachetant Kiva System, une entreprise spécialisée dans la fabrication de robots dédiés à la logistique d’expédition. Depuis, les entrepôts d’Amazon sont ultra-automatisés et un employé d’Amazon sur 7 est … un robot, soit 14% des effectifs ! Nous invitons le lecteur à visionner la valse des robots (vidéos disponibles en tapant dans un moteur de recherche : amazon robot kiva), un véritable ballet où la coordination des robots est programmée par de l’IA. Equipé de laser, chacun est guidé par des QR codes placés sur le plancher. Au gré des commandes entrantes et sortantes, les robots se placent sous l‘une des étagères chargées en articles aussi variés que des livres, bijoux ou appareils ménagers. Le stockage des produits semble irraisonné (vos placards sont mieux rangés !) et pourtant, des programmes sophistiqués d’optimisation de l’espace de stockage selon la rotation des produits et les prévisions de commandes permettent de résoudre l’équation de minimisation des coûts de stockage sous contrainte de centaines milliers de références et de milliers de commandes quotidiennes. 
 
Les gains sont nombreux : gain de temps lors de la préparation des commandes, gain de productivité grâce au flux des robots, 50% d’espace supplémentaire gagné par rapport à un entrepôt classique. Pour les salariés en charge de la manutention, les pickers, ce sont moins de tâches lourdes et pénibles, une optimisation de leur parcours dans des entrepôts (qui peuvent atteindre la taille de 14 terrains de football), moins d’erreurs et donc plus de satisfaction pour le client final.
 
 
Détecter la fraude avec justesse
 
La digitalisation accrue des services bancaires a pour conséquence l’augmentation du nombre d’opérations de fraude. Depuis longtemps, les banques ont développé des modèles prédictifs visant à détecter des fraudes lors d’un paiement par carte bancaire. L’enjeu consiste à détecter les fraudes le plus rapidement possible sans créer de fausses alertes qui conduiraient à informer un client d’une fraude alors que cela serait son usage personnel. Certains clients n’apprécient par cette intrusion abusive dans leur vie privée provoquant une forte insatisfaction et parfois la fermeture de leurs comptes bancaires. 
 
C’est dans ce contexte qu’une banque danoise, Danske Bank, a développé avec succès un modèle d’IA en deux temps : un premier modèle à base d’arbre de décision se concentre sur la détection de fraude par le machine-learning en analysant de manière transparente les transactions entrantes en moins de 300 millisecondes, une seconde étape de deep-learning analyse des dizaines de milliers de caractéristiques afin de fournir des informations concernant aussi bien les vraies que les fausses activités frauduleuses. 
 
 
Présélectionner les meilleurs profils 
 
Imaginez le nombre de candidatures reçues par courriel par une entreprise telle que L’Oréal. Environ un million par an ! Certes les équipes RH de L’Oréal sont très efficaces, mais là, un million de candidatures, cela dépasse les capacités humaines ! Alors, comment traiter cette masse de candidatures et ne pas passer à côté de talentueux collaborateurs ? En Septembre 2018, L’Oréal a déployé au Royaume-Uni, aux Etats-Unis, et en France, une plateforme conversationnelle, un chatbot, destiné aux candidats à la recherche de stages ou de postes de conseillers beauté (Source : https://www.loreal.fr/media/news/2018/october/mya-systems). Êtes-vous disponible à la date de début du stage et tout au long de la période du stage ? Quel est actuellement votre niveau d’étude et combien de temps dure votre formation ? Avez-vous besoin que nous fassions des aménagements particuliers afin de mener à bien votre candidature ? Avez-vous besoin d’informations plus précises sur le poste ? Avez-vous des questions au sujet de la culture d’entreprise ou du processus de recrutement ? Les réponses à ces questions sont traitées par une solution IA d’analyse de texte permettant de déterminer si le profil du postulant correspond aux attentes du poste. A l’issue de cette première étape, les candidats sélectionnés sont mis en relation avec des recruteurs qui peuvent ainsi se concentrer sur la dimension humaine et qualitative du recrutement.
 
 
Automatiser une tâche chronophage sans réelle valeur ajoutée
 
Au Crédit Mutuel, c’est quotidiennement 90 000 courriels envoyés par les clients à destination de leurs chargés de clientèle. Le traitement du courriel (lecture, réponse) prend du temps, il interrompt les tâches en cours, la gestion des urgences n’est pas toujours optimale. Bref, en 2016, il a été décidé d’assister les conseillers dans le traitement des courriels clients, et de développer, à partir de la technologie Natural Language Processing de Watson (IBM), un analyseur de courriels dont la finalité est triple : identifier automatiquement la demande exprimée dans le courriel, détecter l’urgence de la réponse et préparer un contenu de réponse.
 
Le projet a été une réussite, pour preuve la généralisation du projet à l’ensemble des 20 000 chargés de clientèle. Une des clés de succès a été l’entraînement initial, au cours duquel la solution est censée apprendre à résoudre le problème à partir d’exemples. Un échantillon de 10 000 courriels anonymisés a servi à nourrir Watson. En parallèle, trois experts métiers ont été chargés de qualifier les 10 000 courriels selon l’objet de la demande parmi les 33 objets principaux identifiés en amont (les 33 objets couvrent 70% des demandes). Les demandes ont été décomposées en s’appuyant sur une description des motifs de langage : environ 1 000 concepts et 4 000 règles correspondant à des motifs de langage ont été fixés. Ce gros travail réalisé “ à la main ” était indispensable pour initier l’apprentissage de l’IA de Watson et aboutir à un bon taux de reconnaissance sur les intentions du courriel : de 40% au démarrage, le taux reconnaissance est dorénavant supérieur à 90% car l’IA continue à apprendre au fur et à mesure des courriels traités et des ajustements réalisés par les conseillers. 
 
En automatisant une tâche répétitive sans grande valeur ajoutée, l’intelligence artificielle permet au conseiller de dégager du temps commercial et du temps d’écoute, un équivalent de 200 000 jours homme dans le cas présent. L’IA ne remplace pas le conseiller, elle est mise au service du conseiller dont les performances sont augmentées.
 
 
L’IA, mise à disposition d’une expérience client augmentée
 
Le magasin du 3ème type sera bardé d’IA ou ne sera pas ! Reconnaissance du produit au moment où il est pris en main et affichage des informations le concernant (prix, ingrédients, conseils d’utilisation, etc.) ; Chariots autonomes qui suivent le client et font la queue si besoin ; Promotions ultra-personnalisées (tenant compte de l’historique d’achat du client, ses activités de paiement, opérations financières, etc.) adressées au client en fonction de sa localisation dans le magasin ; Reconnaissance faciale pour le paiement des clients de l’enseigne et référencés dans la base de clients, une application mobile permettant de valider la transaction bancaire ; Livraison par drone ou robot autonome. 
 
Les deux géants du e-commerce, Amazon et Alibaba, sont les plus avancés dans le secteur de la distribution. En s’appuyant sur une technologie nommée “ Just Walk Out ”, Amazon, a ouvert un premier magasin test, Amazon Go en janvier 2017 à Seattle. De son côté, Alibaba a beaucoup investi sur le paiement par reconnaissance faciale avec sa filiale Alipay et la technologie “ Smile to pay ”.
 
Les performances des sites de e-commerce sont elles aussi dopées à l’IA : traitement du langage naturel appliqué aux requêtes formulés par les clients, facilité dans la recherche d’informations ou de produits, filtre des réponses optimisé, recommandations adaptées car les images des articles ont été analysées par des réseaux de neurones profonds et classées en différentes catégories, etc. Une somme de petits détails qui facilitent la navigation des visiteurs et le passage à l’achat. Facilité, fluidité, sécurité, la technologie est mise à la disposition d’une expérience client enrichie.
 
 
Conclusion
 
Ces exemples montrent qu’en intégrant des fonctionnalités d’IA, les entreprises améliorent leurs capacités et performances au quotidien, ainsi que celles de leurs collaborateurs, clients et partenaires. C’est en cela que certains préfèrent associer l’acronyme IA à Intelligence Augmentée. 
 
Si les usages se multiplient, de nombreuses entreprises sont encore au stade des premières expérimentations dont il faut tirer les enseignements. Dépasser l’expérimentation et industrialiser l’usage est le point d’attention le plus délicat. Déployer à grande échelle implique de s’assurer que l’architecture technique peut supporter le programme. Cela implique aussi de lancer des projets internes de conduite du changement : démystifier les notions autour de l’IA et la transmission des compétences pour accélérer la compréhension et l’adoption en interne.
 
Quelques références pour aller plus loin : 
 
• Les usages de l’intelligence artificielle, Olivier Ezratty, Novembre 2018, www.oezratty.net
• Intelligence artificielle : l’impact économique réel, Olivier Passet, Novembre 2018, vidéo disponible sur www.xerficanal.com
• L’intelligence artificielle en entreprise. Stratégies, gouvernances et challenges de l’intelligence artificielle en entreprise, CIGREF, octobre 2018, www.cigref.fr
 



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