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LA PROPULSION ÉLECTRIQUE EN QUÊTE D’ERGOLS ALTERNATIFS

23 juillet 2024 Lettre 3AF
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par Benjamin Esteves, Olivier Duchemin. (Safran Spacecraft Propulsion)

POSITION DU PROBLÈME

 

La propulsion électrique devient indispensable dans le cadre de la mise en œuvre des constellations en orbite basse. Elle offre deux fonctions principales :

• Le transfert d’orbite depuis l’orbite initiale fournie par le lanceur,

• La désorbitation en fin de vie. Le transfert d’orbite initial procure deux avantages : Il améliore légèrement la capacité du lanceur, en diminuant l’exigence d’énergie fournie par ce dernier. Il permet d’assurer la répartition des satellites dans un plan orbital en cas de lancement multiple (ce qui est le cas le plus fréquent).

 

La désorbitation en fin de vie est une nécessité (et une obligation selon certaines législations) afin de diminuer l’encombrement de l’espace. Bien entendu, la masse d’ergol à fournir, modeste pour chaque satellite, devient considérable dans le cas d’une constellation. Par exemple, il faut fournir 100 tonnes d’ergol pour une constellation de 2000 satellites. Les ressources en xénon sont insuffisantes pour fournir une telle masse.

 

LES CAPACITÉS DE PRODUCTION DU XÉNON

 

Les projections de mise en orbite de satellites au cours de la prochaine décennie laissent entrevoir un besoin en xénon dépassant largement la production mondiale annuelle, sans même prendre en compte les demandes provenant d'autres secteurs industriels. Le défi ne réside pas tant dans la rareté intrinsèque du xénon que dans sa capacité de production limitée à environ 60 tonnes par an. Cette limitation découle directement de la méthode de production du xénon : la liquéfaction de l'air, où le xénon se retrouve comme le dernier sous-produit de la chaîne de production. Pour contextualiser, la production quotidienne de 2000 tonnes d'oxygène permet seulement d'obtenir environ quatre kg de xénon (une tonne par an). Ainsi, la production mondiale de xénon est étroitement liée à la capacité des grands centres de production d'oxygène liquide, mettant en évidence la fragilité de la chaîne d'approvisionnement actuelle.

 

Depuis 2022, les fluctuations géopolitiques ont considérablement modifié les perspectives et les priorités des industriels ainsi que celles des agences spatiales nationales et internationales. 

 

Face à l'instabilité des approvisionnements et aux risques associés à la dépendance envers des ressources potentiellement soumises à des contraintes géopolitiques, la recherche d'ergols alternatifs est devenue une priorité absolue pour assurer la souveraineté et la durabilité des programmes spatiaux

PPS®1350 fonctionnant au xénon.

LE KRYPTON ET L’ARGON COMME REMPLACEMENTS IMMÉDIATS

 

Le choix évident des gaz nobles plus légers, tels que l'argon et le krypton, réside dans le fait que ces alternatives sont d’ores-et-déjà fonctionnelles. Bien que ces gaz nobles affichent, surtout pour l’argon, des performances inférieures en termes de Poussée et de ratio Poussée/Puissance par rapport au xénon, ils offrent en principe une Impulsion Spécifique supérieure, ce qui constitue un avantage non négligeable pour les missions spatiales. De plus, leur transition relativement simple au niveau des moteurs et des installations de test facilite leur adoption par l'industrie spatiale. Au-delà de la performance, le défi supplémentaire réside dans la plus faible densité de stockage sous forme de gaz haute pression : d’une masse de réservoir d’environ 10% de la masse stockée pour le xénon, on passe à 35% pour le krypton, et à 100% pour l’argon !

 

Malgré les défis liés à leur stockage, des acteurs majeurs tels que la société Space X, à travers son programme de petits satellites Starlink, ont décidé de faire usage de moteurs à effet Hall propulsés par ces gaz pour déployer leurs constellations de satellites. Cette adoption précoce démontre la viabilité de ces alternatives, du moins pour les petits satellites, et ouvre la voie à leur utilisation dans des applications nécessitant une très haute puissance, telles que les propulseurs à effet Hall (>20 kW). 

Propulseur PPS 20 k (20 kW).

Dans cette dynamique d'innovation, des solutions de stockage innovantes, telles que le stockage cryogénique, pourraient offrir à l'argon une place de choix en répondant aux exigences de performances tout en garantissant une gestion efficace des ressources. Cette évolution témoigne de la capacité de l'industrie spatiale à s'adapter aux défis en constante évolution et à explorer de nouvelles voies pour assurer l'avenir de l'exploration spatiale.

 

LE DIIODE COMME ALTERNATIVE OPTIMALE ?

 

Le diiode (I2) se positionne comme une solution plus que prometteuse dans la quête d'ergols pour la propulsion électrique spatiale. Avec une densité de stockage supérieure à celle du xénon et une dissociation quasi-totale à l'état plasma, le diiode offre des performances comparables, voire supérieures, à celles de l'ergol traditionnel. Son coût de sublimation relativement bas et son abondance sur Terre en font une option attrayante pour les missions spatiales, offrant un potentiel significatif pour réduire les coûts opérationnels et assurer une disponibilité durable des ressources.

 

Cependant, malgré ses avantages, la transition vers le diiode n’est pas immédiate. La conception du système de stockage et de distribution représente un défi majeur, nécessitant une ingénierie précise pour assurer le transport sûr et efficace de ce composé. De plus, l'adaptation des bancs d'essai existants pour fonctionner avec le diiode exige une expertise technique considérable et des investissements substantiels dans les infrastructures de test et de développement. Également, il est essentiel d'examiner les effets potentiels de l'utilisation du diiode sur les systèmes électroniques et les composants des satellites. Les interactions entre l'iode et les matériaux utilisés dans la construction des moteurs et des autres équipements spatiaux doivent être étudiées en détail pour garantir la fiabilité et la durabilité des systèmes spatiaux.

 

Par ailleurs, les cathodes fonctionnant à l'iode constituent également un obstacle significatif dans le développement de cette technologie. Bien que la startup française ThrustMe ait été pionnière en faisant voler un moteur à grille fonctionnant à l'iode sans cathode creuse, la propulsion électrique spatiale alimentée par le diiode n'a pas encore été pleinement exploitée en orbite pour propulser un satellite (aucun moteur à effet Hall utilisant l’iode n’a encore volé en orbite). Seul un engagement continu dans l'innovation et l'exploration de nouvelles solutions permettra de concrétiser vers des puissances plus élevées les avantages prometteurs que le diiode offre pour l'avenir de l'exploration spatiale.

Propulseur PPS®X00 alimenté en iode La cathode est alimentée en xénon

En parallèle du développement de l'utilisation du diiode dans la propulsion électrique spatiale, il est crucial de considérer les aspects liés à la santé, à la sécurité et à l'environnement. L'iode, en tant que composé chimique, présente des risques Propulseur PPS 20 k (20 kW). Propulseur PPS®X00 alimenté en iode La cathode est alimentée en xénon.

 

LA PROPULSION ÉLECTRIQUE EN QUÊTE D’ERGOLS ALTERNATIFS

 

16 potentiels pour la santé humaine et l'environnement, nécessitant ainsi des études approfondies pour évaluer les impacts de son utilisation. En intégrant ces considérations dans le processus de conception et de mise en œuvre, il est possible de garantir une utilisation sûre et responsable de cette technologie prometteuse dans l'espace.

 

L’AIR COMME ALTERNATIVE POUR LES ORBITES TRÈS BASSES

 

Une approche audacieuse émerge dans la quête d'ergols alternatifs : l'utilisation de l'air environnant comme source d'énergie pour les orbites très basses. Cette idée novatrice repose sur la capture et l'utilisation de l'air atmosphérique pour la propulsion des satellites évoluant dans les couches les plus proches de la Terre. En effet, l’utilisation de l’air ambiant comme flux de matière accéléré permet, comme pour un moteur aéronautique, de ne pas avoir à embarquer le fluide propulsif alors que c’est habituellement le cas pour un moteur fusée. Si par ailleurs la source d’énergie pour l’accélération de ce flux est l’énergie solaire capturée par les panneaux photovoltaïques, alors l’autonomie pourrait en théorie être illimitée !

Propulseur PPS®1350 fonctionnant à l’azote. Noter la différence de couleur du plasma avec le cas du xénon.

Bien que cette approche soit encore à un stade expérimental, elle ouvre des perspectives intrigantes pour la réduction des coûts de mise en orbite et la durabilité des missions spatiales à très basse altitude. Toutefois, des défis technologiques significatifs restent à relever, notamment en ce qui concerne la capture efficace de l'air, son stockage et sa conversion en jet propulsif. Néanmoins, cette exploration de l'air comme alternative représente un domaine de recherche prometteur, susceptible de transformer la manière dont nous concevons et utilisons la propulsion spatiale dans les années à venir.

 

DES ALTERNATIVES PLUS EXOTIQUES

 

D'autres alternatives moins crédibles incluent certains métaux tels que le césium, le mercure, le bismuth, le cadmium, le zinc et le magnésium. Ces matériaux présentent des densités de stockage intéressantes, mais leur utilisation est entravée par diverses contraintes majeures. Tout d'abord, certains de ces métaux nécessitent une quantité d'énergie considérable pour être sublimés, ce qui augmente significativement les coûts opérationnels et la complexité des systèmes de propulsion (Zn, Mg, Bi). D’autres sont nocifs (Hg, Cd) voire inflammables (Cs). De plus, leur nature métallique peut poser des problèmes de dépôt et de corrosion, ce qui pourrait compromettre le bon fonctionnement des moteurs à long terme. En outre, les adaptations nécessaires aux installations d'essai existantes pour les rendre compatibles avec ces ergols métalliques représentent un défi supplémentaire. En raison de ces contraintes techniques et opérationnelles majeures, ces alternatives sont considérées comme moins crédibles dans le contexte de la propulsion électrique spatiale.

 

CONCLUSION

 

La quête d'ergols alternatifs pour la propulsion électrique spatiale est devenue une priorité urgente, avec la demande de xénon dépassant largement la production mondiale. Les alternatives émergentes comme le krypton et l'argon offrent des solutions immédiates mais souffrent encore aujourd’hui d’un déficit de performance et de densité de stockage, tandis que le diiode présente un potentiel prometteur malgré des défis techniques. Parallèlement, l'exploration de nouvelles approches, telles que l'utilisation de l'air atmosphérique ou des métaux, suscite un intérêt croissant. Cependant, l'aspect santé, sécurité et environnement doit être intégré dans toutes les avancées technologiques. La recherche d'ergols alternatifs représente un domaine dynamique et crucial pour l'avenir de l'exploration spatiale, nécessitant un engagement continu dans l'innovation et la collaboration.




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