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Man-Machine Teaming

25 février 2019 Lettre 3AF
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Entre l’évolution des missions opérationnelles, du contexte aérien et le développement de nouvelles technologies, les cockpits se trouvent à la croisée des chemins : les années à venir verront sans doute une évolution majeure de la manière d’opérer les avions. Le projet Man Machine Teaming (MMT) développé par Dassault Aviation avec Thales sous l’égide de la DGA est une brique dans cette évolution.

 Les dernières générations de cockpits (Glass Cockpit), outre leur simplification physique, ont permis un haut niveau de synthèse. Ainsi, la fusion de données dans le Rafale permet la présentation d’une situation tactique hautement synthétique, affranchissant le pilote de la mise en correspondance ou de la combinaison des informations provenant de plusieurs sources. L’idée forte reste toujours la même : décharger le pilote de tâches de gestion “ subalternes ” pour lui permettre de se concentrer sur les éléments fondamentaux de sa mission.

L’évolution du contexte opérationnel amène à repenser la conception des cockpits et la relation homme-machine. Dans le domaine civil, où une grande majorité des accidents est due à l’humain (le taux de 80% est communément avancé), la génération de trajectoires 4D (SERAR, NextGen) sera associée à une numérisation du contrôle aérien, l’augmentation du trafic aérien (faisant craindre un nombre insuffisant de pilotes) étant en outre annoncée. Dans le domaine militaire, les données opérationnelles sont de plus en plus nombreuses (données, images, vidéos) suite à la multitude et aux performances grandissantes des capteurs. Les opérations aériennes sont de plus en plus réalisées en réseau ; la fulgurance et la furtivité doivent permettre de prendre l’avantage.

Dans les deux cas, une autonomie des systèmes associée à un nouveau paradigme d’interaction homme-machine permettrait de prendre en compte cette évolution de contexte. 

Dans le même temps, la ré-émergence de techniques d’intelligence artificielle (IA) ouvre des perspectives nouvelles pour les machines en vue d’amplifier leur niveau de synthèse, d’aider à la décision et de prendre à leur charge des activités aujourd’hui dévolues à un équipage.

Pour augmenter l’autonomie des machines militaires, le domaine de l’IA est fortement plébiscité par les grandes puissances, Chine et États-Unis en tête. En octobre 2016, Bob Work, secrétaire adjoint américain à la défense défend la “ Third Offset Strategy ” dans laquelle l’autonomie vise à reprendre l’avantage ; ainsi l’IA devient un axe stratégique.

 

Vers un système aérien cognitif

L’évolution du contexte opérationnel nous conduit à imaginer des systèmes capables de percevoir leur environnement au sens très large (situation tactique, éléments du dispositif, équipage, etc.), de placer du sens sur ce qui est perçu (transformer les “ pixels ” en informations du domaine), d’agir au regard du sens perçu, de la connaissance qu’ils contiennent et des objectifs/performances assignés par l’humain ainsi que, d’apprendre et de s’adapter au regard de leurs actions dans l’environnement.

Ces propriétés faisant écho à des fonctions cognitives, elles font émerger le concept de système aérien cognitif.
Dans ce système, les processus d’analyse, de décision et d’action ne sont plus forcément et uniquement codés sous forme de modèles analytiques mais ils incluent une part de modèles “ inférés ” des données ou connaissances que l’humain a apportées au système.

L’humain est lui en mesure d’apporter la flexibilité nécessaire à la conduite d’une mission complexe, grâce à ses capacités d’adaptation, d’initiative et d’anticipation. Le système cognitif, auquel l’homme décidera du niveau d’autonomie délégué, lui permettra de les décupler.

 

Homme et machine deviendront des équipiers redéfinissant les principes des futurs cockpits

Homme et machine devenant équipiers, les principes des futurs cockpits évolueront selon trois axes.

Tout d’abord, l’interaction multi-modale devra “ gommer ” la complexité des systèmes et des missions. En quelques sortes, l’IHM (Interaction Homme-Machine) doit “ s’effacer ” et ne se concentrer que sur le besoin opérationnel mission. Ainsi, les vues de synthèse mission seront privilégiées, tout comme l’usage de la réalité augmentée ou virtuelle pour “ connecter ” directement l’équipage à sa mission ainsi que l’usage du langage naturel opérationnel afin de limiter les temps d’accès aux informations systèmes et de mission.

Ensuite, afin de conserver une boucle homme-machine opérationnelle avec des systèmes à forte autonomie et des équipages éventuellement réduits, la connaissance du “ statut ” de l’équipage associée à une boucle de rétro-action adaptée devient nécessaire. Cet axe de “ monitoring de l’équipage ” recouvre plusieurs aspects physiologiques et cognitifs : endormissement, fatigue, charge de travail, comportement.

Enfin, un assistant virtuel, véritable copilote électronique, matérialisera le système d’aide à la prise de décisions et d’actions. La logique qui prévaut dans la démarche est celle d’une machine plus autonome mais pas complètement autonome : la notion d’assistant virtuel prend ici tout son sens. Cette alternative est soutenue aujourd’hui par rapport à celle d’une aide ou prise de contrôle à distance par l’humain, cette dernière solution répondant vraisemblablement moins aux contraintes militaires.

Au-travers du projet MMT, l’État, Dassault Aviation et Thales amorcent une nouvelle démarche pour l’aéronautique de défense.

Il n’y a donc pas opposition entre l’homme et la machine, mais complémentarité. Optimiser cette complémentarité est le but du projet Man Machine Teaming (MMT, http://man-machine-teaming.com). Lancé et financé par la Direction Générale de l’Armement (DGA), ce plan d’études amont (PEA) est piloté par Dassault Aviation et Thales.

Le PEA MMT s’appuie sur un écosystème collaboratif, dans lequel s’investissent différents acteurs de l’entrepreneuriat et de la recherche : PME, laboratoires, start-up, etc. Ces acteurs sont invités à apporter des expertises variées, dans le but de proposer des solutions technologiques en rupture à adapter au monde de l’aéronautique de défense.
Le 16 mars 2018, Dassault Aviation a accueilli à Saint-Cloud l’événement de lancement du PEA MMT. À cette occasion, plus d’une centaine de start-up, PME et organismes de recherche étaient représentés. L’événement a tout particulièrement été marqué par la visite de Madame la Ministre des Armées, Florence Parly.

Précédée par Éric Trappier (PDG de Dassault Aviation), qui a rappelé que Dassault Aviation avait expérimenté des solutions à base d’IA dès les années 1990, Florence Parly s’exprimant devant plus d’une centaine d’entrepreneurs et chercheurs a quant à elle insisté sur l’importance de la diffusion des récentes avancées de l’IA dans l’ensemble des technologies de défense. À cette occasion, elle a souligné la nécessité d’un effort d’investissement et de recherche pour assurer la supériorité de nos armées. À ses yeux, cet effort s’inscrit dans “ une course où les intérêts économiques, technologiques et stratégiques se rejoignent et dans laquelle la France ne peut pas rester immobile ”.

Le programme MMT, d’une durée de trois ans, représente une opportunité essentielle pour les industriels ainsi que pour la constitution de l’écosystème. Il comprend deux grandes phases de consultation dont la première se termine en novembre 2018, la seconde démarrant en mai 2019. Ces consultations ont pour but d’identifier les propositions de l’écosystème dont les technologies sont susceptibles de faire progresser le système aérien cognitif. Les financements associés vont de 100 à 200 000 euros par projet sélectionné, sur une période de 12 à 18 mois.

MMT s’intéresse tout particulièrement aux techniques d’IA. Celles-ci sont popularisées par le machine learning et le deep learning en particulier. Il est indéniable que ce domaine de l’IA a connu une véritable percée via des résultats probants notamment dans le traitement d’image et la reconnaissance de formes. Cette technique n’est cependant pas la seule d’intérêt dans MMT. En effet, l’IA plus ancienne, dite symbolique, nous parait aujourd’hui plus adaptée pour certaines tâches cognitives de haut niveau, les missions aériennes répondant en particulier à des règles, des conventions, des tactiques, etc. Ceci constitue un domaine de connaissance qu’il faut pouvoir représenter dans une machine, exploiter notamment par un assistant virtuel et faire évoluer par l’expérience (apprentissage symbolique).

Plus largement, l’intelligence embarquée sera sans doute un mix de ces différentes techniques ; nous pouvons parler ici d’IA hybride.

 

Des enjeux techniques mais pas uniquement…

Le système aérien cognitif vu au travers de la première brique MMT est un véritable challenge dont les enjeux sont divers.

Ils sont techniques, car même si l’IA a fortement progressé, des questions demeurent : comment rendre l’IA “ explicable ” ? Comment imbriquer l’IA numérique à l’IA symbolique ? …
Ils sont humains, car notre relation à la machine va poser de nouveaux défis : quelle confiance lui accorder ? Quelle empathie avec elle ? Quel état physiologique et cognitif de l’équipage voulons-nous lui fournir ? Toutes sortes de questions relevant des sciences humaines et sociales en découlent.

Ils sont liés à la certification et à la qualification dont on sait le haut niveau requis dans le monde de l’aéronautique et de la défense.

Ils sont organisationnels, la frontière entre industriels/ingénieurs et opérationnels/utilisateurs devenant plus perméable du fait de la nature des techniques d’IA employées : l’IA s’abreuve de données (numériques ou symboliques) opérationnelles.

Ils sont liés aux compétences ; MMT et son mode de fonctionnement avec un écosystème ouvert est à ce titre original. 

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