News

Partager sur :

Optique adaptative et déconvolution

13 novembre 2018 Lettre 3AF
Vue 208 fois

Une combinaison unique pour atteindre les performances ultimes des télescopes au sol 
 
L’ONERA est au cœur des développements d’Optique Adaptative et de traitement d’images pour l’astronomie depuis plusieurs décennies. Ces deux techniques sont à présent mises en commun pour l’observation d’astéroïdes à très haute résolution grâce à l’instrument SPHERE (et son système d’optique adaptative SAXO) et à l’algorithme de déconvolution MISTRAL. Cette combinaison unique permet d’obtenir depuis le sol des images avec une résolution spatiale inégalée. 
 
 
Introduction
 
Depuis une centaine d’années, la taille des télescopes n’a cessé d’augmenter pour atteindre des diamètres de l’ordre de la dizaine de mètres, la nouvelle génération, actuellement à l’étude, devrait conduire à des diamètres de près de 40 mètres. Cette croissance importante a deux principaux buts, augmenter le flux total collecté, réduisant par là même le bruit de photons qui représente la limite fondamentale de toute observation et améliorer la résolution angulaire sur l’objet observé. Si le premier objectif est atteint (le nombre de photons collectés augmente avec le carré du diamètre du télescope), il n’en est, hélas, pas de même pour la résolution angulaire. En effet, la présence de l’atmosphère terrestre limite de manière importante cette résolution. Cette dernière ne dépasse jamais la résolution théorique d’un télescope de quelques dizaines de centimètres aux longueurs d’onde optiques et ce, quel que soit le diamètre considéré. En effet, les fronts d’onde, issus d’un objet, sont perturbés par les fluctuations d’indice de réfraction de l’air dans l’atmosphère. Ces perturbations entraînent un élargissement de la tache image au foyer du télescope ce qui introduit, in fine, une perte sensible de performance. La résolution obtenue, dépendant de la longueur d’onde d’observation, peut être plusieurs dizaines de fois inférieure à la résolution théorique attendue.
 
En 1953, Babcock propose une technique, appelée Optique Adaptative (OA), pour compenser partiellement cet effet : un miroir est déformé par des moteurs pilotés en temps réel pour compenser les avances ou retards de phase introduits par la turbulence le long du trajet optique. Il faut néanmoins attendre plus de 35 ans pour que cette idée soit mise en pratique en astronomie sur le télescope de 3,6 m de l’European Southern Observatory (ESO) à la Silla (Chili) [Rousset dans les années 90 ]. Aujourd’hui, la quasi-totalité des grands télescopes sont équipés d’OA. Dans ces systèmes, qui fonctionnent en boucle fermée sur une étoile appelée étoile guide, l’onde réfléchie sur le miroir déformable est envoyée sur un analyseur de front d’onde. Les aberrations résiduelles mesurées par l’analyseur sont utilisées pour contrôler le miroir déformable placé en général dans un plan pupillaire.
L’OA constitue, sans nul doute, la solution d’avenir pour l’observation astronomique depuis le sol. Tous les nouveaux projets de télescope incluent à présent l’OA dès les toutes premières étapes de leur conception, certains, comme l’“European-Extremely Large Telescope” (E-ELT) de l’ESO, intègrent l’OA dans le télescope lui-même, en amont des instruments scientifiques.
 
Les vingt dernières années ont fait passer l’OA du stade de démonstration à celui de technique à la fois éprouvée et opérationnelle, mais surtout foisonnante de nouvelles idées et de nouveaux concepts pour améliorer les performances, répondre aux besoins (de plus en plus exigeants) des astronomes, gagner en opérabilité et en robustesse et tenter de s’affranchir des restrictions liées au concept original.
 
L’instrument SPHERE est un des exemples récents les plus marquants de l’évolution de l’optique adaptative. En opération depuis plusieurs années, il a été dimensionné pour répondre à des besoins astrophysiques bien ciblés avec des performances uniques au monde ainsi qu’une contrainte de robustesse et de facilité d’emploi qui permet son utilisation quasi-automatique chaque nuit. 
 
SPHERE-SAXO : L’optique adaptative extrême
 
L’instrument SPHERE 2 (Spectro-Polarimetric High contrast Exoplanet REsearch) a pour but principal la détection et caractérisation d’objets faiblement lumineux, comme des planètes géantes gazeuses, à proximité d’étoiles brillantes, mais aussi l’imagerie à très haute résolution des objets du système solaire comme les astéroïdes, planétoïdes ou encore les satellites des géantes gazeuses. SPHERE est installé depuis mai 2014 sur un des 4 télescopes de 8 m du VLT et fournit depuis plus de 4 ans maintenant des images d’objets astrophysiques avec une résolution inégalée (que ce soit depuis le sol ou depuis l’espace avec les télescopes spatiaux). 
 
Ce type d’exploit, qui équivaut à détecter, depuis Paris, une bougie située à 50 cm d’un phare à Marseille nécessite l’utilisation conjointe de technologies optiques de pointe, toutes à la limite de l’état de l’art international et le développement d’algorithmes de traitement d’image optimisés pour les besoins de l’instrument. En particulier, au cœur de l’instrument SPHERE, bat SAXO (Sphere Ao for eXtrasolar Observation) plus de 1200 fois par seconde [Fusco-2006, Fusco-2016]. Son rôle est de corriger en temps réel tous les défauts liés à la turbulence atmosphérique mais aussi ceux introduits par le télescope et l’instrument scientifique lui-même. SAXO fournit alors aux instruments scientifiques un front d’onde quasi-parfait et permet de former des images limitées par la diffraction du télescope aux longueurs d’onde infrarouges et visibles, une performance sans précédent sur un télescope de ce diamètre (8 m).
 
Ces images, quasi-parfaites, comme le montre la figure 4, contiennent néanmoins quelques aberrations résiduelles non corrigées par le système d’optique adaptative. En effet, certaines limitations technologiques (temps de réponse des composants du système, bruit de lecture des détecteurs, etc.) ou fondamentales (bruit de photons) dégradent la qualité de correction des systèmes d’OA lors d’observations sur l’axe (c’est-à-dire dans la direction d’analyse). Le front d’onde n’est alors que partiellement corrigé et des résidus de turbulence viennent perturber l’image finale. Bien que suffisamment faible pour n’affecter que marginalement la résolution ultime du système, ces résidus sont suffisants pour introduire, dans l’image finale, un flou résiduel qui représente la limite principale lors de l’exploitation astrophysique des données obtenues. 
 
 
La déconvolution : s’affranchir des derniers défauts dans l’image
 
Pour s’affranchir de cette limitation, la solution consiste à agir sur les images fournies par l’instrument scientifique lui-même, après la correction toujours imparfaite de l’OA. Il s’agit alors de développer des techniques de traitement a posteriori pour s’affranchir de la correction partielle (i.e. du flou résiduel dans l’image) et retrouver, au mieux, l’objet d’intérêt. En effet, malgré une atténuation qui peut être importante, toute l’information fréquentielle de l’objet jusqu’à la fréquence de coupure du télescope est présente dans l’image. Ainsi des solutions basées sur la théorie du traitement du signal et des images permettent à partir d’une image partiellement corrigée, d’améliorer sensiblement la qualité des images obtenues après OA.
 
Il faut, pour ce faire, réussir à gérer deux problèmes majeurs: la propagation du bruit (de photons, de détecteur, de fond, etc.) dans le processus de traitement et la connaissance imparfaite de la réponse de l’instrument (variabilité spatiale et temporelle). L’intégration de ces problématiques dans le cadre rigoureux de la théorie de l’information et plus spécifiquement des problèmes inverses est essentielle. Elle se base sur une connaissance fine du problème direct (i.e. la formation d’image et les caractéristiques des objets observés) et implique :
une interaction forte avec les utilisateurs (astronomes) pour définir les contraintes (ou a priori) liées aux objets observés,
une connaissance approfondie de l’instrument (et des technologies critiques associées).
 
Depuis le début des années 2000, un algorithme de déconvolution optimisée pour des images ayant préalablement été corrigées par Optique Adaptative a été mis au point à l’ONERA. Une collaboration étroite entre spécialistes en Optique Adaptative et problèmes inverses a donné naissance à MISTRAL (Mypic Iterative STep Preserving ALgorithm) [Mugnier-2004]. 
 
Cet outil opérationnel (utilisé aujourd’hui dans de nombreux observatoires) a été développé dans le cadre d’une approche Bayésienne du problème (que ce soit vis-à-vis de la prise en compte des informations de bruits perturbant l’acquisition d’image ou des caractéristiques des objets observés). La trame globale de l’algorithme peut se décomposer en 3 grandes étapes :
 
1. La description du problème direct.
On s’intéresse là à la physique liée à l’observation.
Plus la modélisation du problème direct sera fidèle, plus l’inversion (et donc la restitution des paramètres d’intérêt) sera efficace et précise. Ainsi on a intérêt à introduire dans cette description le maximum de connaissances sur :
la formation d’images elle-même. Il s’agit là de décrire le processus d’acquisition (imagerie directe, coronographique, différentielle, spectroscopique, etc.) et d’intégrer les contraintes et les spécificités de l’instrument scientifique et du système d’OA. Un point clé de cette description de la formation d’image est la connaissance (ou l’estimation) de la fonction d’étalement de point (FEP) de l’instrument.
les différents bruits venant perturber les images (bruit de photons, de détecteurs, de fond, bruit spatial fixe pour les caméras infrarouges, etc.)
 
2. La définition d’un critère à minimiser vis-à-vis des paramètres astrophysiques d’intérêt (que ce soit une image ou une description paramétrique de l’objet observé). Ce critère va, bien évidemment, s’appuyer sur le modèle direct défini précédemment. Le plus grand soin doit être apporté à la définition du critère. En effet, c’est sa pertinence qui va permettre une plus ou moins grande précision (bruit et biais) sur l’estimation des paramètres astrophysiques liés à l’objet observé. Le critère repose sur deux éléments :
 
un terme d’attache aux données qui va assurer la fidélité des paramètres estimés vis-à-vis des mesures et va dépendre de la nature des différents bruits venant perturber les images,
un terme de régularisation [Titterington-a-85, Demoment-a-89] qui va éviter l’amplification du bruit lors du processus d’inversion [Tikhonov-l-77,Roota-87]. De nombreux types de régularisation (plus ou moins efficaces et pertinents) peuvent être considérés. Dans tous les cas, régulariser revient à introduire une connaissance a priori sur l’objet observé dans le critère. On maîtrise ainsi l’amplification du bruit (on réduit donc la variance de l’erreur) au prix du rajout d’un biais possible dans la solution. Toute la problématique consiste à ajuster (de manière supervisée ou non supervisée selon la complexité du critère) le poids de ce biais par rapport au terme d’attache aux données afin de minimiser l’erreur globale (c’est-à-dire maîtriser l’amplification du bruit sans pour autant trop biaiser le résultat final).
 
3. L’inversion de critère défini préalablement. Pour ce faire, on se base sur des techniques d’analyse numérique plus ou moins sophistiquées. Celles-ci vont d’une inversion simple de type filtre de Wiener par exemple, jusqu’aux techniques de recuit simulé [Geman-a-84] en passant par les algorithmes de descente de type gradients conjugués [Press-l-88] selon la complexité du problème direct (critère convexe ou présentant des minima locaux, etc.) et les contraintes de l’utilisateur (simplicité d’utilisation, rapidité, etc.)
 
 
SPHERE & MISTRAL : une combinaison unique pour l’imagerie à très haute performance
 
Entre Mars et Jupiter, la ceinture d’astéroïdes est pleine de corps rocheux et de débris. Malgré sa nature morcelée et fragmentée, la masse totale contenue dans la ceinture est considérable - environ quatre pour cent de celle de la Lune ! La majorité de cette masse est contenue dans deux corps distincts : Céres, une planète naine constitue un tiers de la masse de la ceinture; l’astéroïde Vesta en détient environ neuf pour cent. Vesta (comme de nombreux autres astéroïdes) fait l’objet d’observations régulières depuis le sol et tout récemment de la part de SPHERE. Les données obtenues sont ensuite déconvoluées par MISTRAL. Ce duo gagnant conduit à des images d’une netteté et d’une résolution jamais obtenues depuis le sol pour ce type d’objet.
 
Comme le montre la Figure 6, les images obtenues par SPHERE de Vesta sont impressionnantes étant donnée la séparation entre la Terre et Vesta (il est deux fois plus éloigné du Soleil que notre planète), et la petite taille de l’astéroïde (un diamètre moyen de seulement 525 kilomètres). La résolution finale après déconvolution est de moins de 15 km sur Vesta. Ce qui permet d’observer ses principales caractéristiques : le bassin d’impact géant au pôle sud de Vesta et la montagne en bas à droite. Il s’agit du sommet central du bassin de Rheasilvia, d’environ 22 km de haut, soit plus de deux fois et demi la hauteur de l’Everest. La comparaison avec les données synthétiques générées après le passage de la sonde spatiale Dawn près de Vesta en 2011 montre qu’en combinant l’optique adaptative extrême de SPHERE et un algorithme de déconvolution optimisé comme MISTRAL, on peut à présent, depuis le sol, obtenir pour les astéroïdes des résolutions tout à fait similaires à celle de sondes spatiales avec l’immense avantage de la possibilité de suivi sur le long terme des objets observés et de l’utilisation combinée de différents types d’instrumentations optiques (imagerie, spectroscopie, polarimétrie).
 
Vesta est le premier d’une longue liste de satellites observés et analysés par les astronomes en utilisant cette combinaison d’instrumentations et de techniques de traitement d’images de pointes. Ces observations visent à mieux comprendre la nature et la composition des astéroïdes, et par là même, de mieux comprendre les processus de formation du système solaire.
 
 
De l’astronomie au biomédical
 
L’Optique Adaptative et le traitement d’images associé trouvent aujourd’hui des applications dans de nombreux secteurs que ce soit pour les télécommunications en espace libre à très haut débit, la mise en forme et la montée en puissance de faisceau laser ou encore l’observation à très haute résolution de satellites en orbite basse ou du champ de bataille.
 
Enfin, l’utilisation de systèmes d’Optique Adaptative et de traitement d’images pour les applications biomédicales et la chirurgie laser est aujourd’hui en plein développement. La rétine étant la seule fenêtre ouverte sur notre corps, son observation à très haute résolution ouvre la voie au diagnostic précoce (et donc potentiellement au traitement préventif) de nombreuses maladies directement reliées à l’œil (comme la dégénérescence maculaire liée à l’âge par exemple) mais aussi d’origine vasculaire ou neuronale. 
 
Acronymes 
ELT : Extremely Large Telescope. Futur télescope Européen de 39 m de diamètre (mise en opération prévue fin 2024)
ESO : European Southern Obserbvatory. Observatoire Européen Austral
MISTRAL : Myopic Iterative STep-preserving Restoration ALgorithm. Algorithme déconvolution développé à l’ONERA
OA : Optique Adaptative 
SAXO : SPHERE Ao for eXoplanet Observation 
SPHERE : Spectro-Polarimetric High-contrast Exoplanet REsearch
VLT : Very Large Telescope. 4 télescopes de 8 m de diamètre de l’ESO en opération dans le désert de l’Atacama au Chili depuis la fin des années 90.
Bibliographie 
H.W Babcock, “The possibility of compensating astronomical seein ”, Pub, Astron. Soc. Pacific, 65, 220, 1953
T. Fusco, G. Rousset, J.-F. Sauvage, C. Petit, J.-L. Beuzit, K. Dohlen, D. Mouillet, J. Charton, M. Nicolle, M. Kasper et P. Puget, “ High Order Adaptive Optics requirements for direct detection of Extra-solar planets ”, Opt. Express, (17), pp. 7515-7534, 2006
T. Fusco, J-F Sauvage, D. Mouillet, A . Costille, C. Petit, J-L Beuzit, K. Dohlen, J. Milli, J. Girard, M. Kasper, A. Vigan, M. Suarez, C Soenke, M. Downing, M. N’Diaye, P. Baudoz, A. Sevin, A. Baruffolo, H-M Schmid, B Salasnich, E. Hugot, N Hubin, “SAXO, the SPHERE extreme AO system: on-sky final performance and future improvements ”, Proc. SPIE 9909, Adaptive Optics Systems V, 99090U (26 July 2016) 
L. Mugnier, T. Fusco, J.-M. Conan, MISTRAL: a myopic edge-preserving image restoration method, with application to astronomical adaptive-optics-corrected long-exposure images. J Opt Soc Am A Opt Image Sci Vis. 2004 Oct;21(10):1841-54.
 
Remerciements : R. Fetick , B. Neichel, J.-L. Beuzit, D. Mouillet, B. Neichel, P. Vernazza, L. Jorda, L. Mugnier, J.-M. Conan, C. Petit, S Meimon, V. Michau et l’ensemble du consortium SPHERE et de l’équipe HRA du Département d’Optique et Techniques Associées de l’ONERA..
 

Galerie photos

Chargement...



Aucun commentaire

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire. Connectez-vous.