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Interview de Damien Cazé, Directeur général de l'Aviation civile (DGAC)

14 janvier 2022 Lettre 3AF
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Diplômé de l'IEP Paris et ingénieur civil des ponts et chaussées en 1991, il est également diplômé de l’ESSEC en 1996 et ancien élève de l'ENA (promotion Victor Schoelcher 1994-1996). En 1996 il entre à la Cour des comptes, est promu conseiller référendaire en 1999 puis conseiller maître en 2012. En 2002, il est appelé en qualité de conseiller technique d'Hervé Gaymard, ministre de l'Agriculture et devient l'année suivante celui de Jean-Pierre Raffarin à Matignon.

En 2005, il intègre le ministère de l'Agriculture au poste de directeur des pêches maritimes et de l'aquaculture. Puis devient directeur des affaires maritimes au ministère de l'Écologie, de 2008 à 2010. En 2010, il est nommé directeur général délégué d'Universcience. Il rejoint ensuite en 2015 la Cour des Comptes et est nommé rapporteur général d’une enquête sur la fiscalité de l’environnement. En mai 2017, il est nommé chef de pôle au cabinet du Premier Ministre, Édouard Philippe, en charge des questions relatives à l’écologie, aux transports, à l’énergie, au logement et à l’agriculture. Damien Cazé est nommé par décret du mercredi 16 septembre 2020 directeur général de l’Aviation civile.

 

BC : Vous avez pris vos fonctions de Directeur général de l’aviation civile, depuis 1 an : quel jugement d’ensemble portez-vous sur l’institution DGAC ?

Damien Cazé : La crise sanitaire a incontestablement bouleversé notre secteur et en conséquence notre administration. Nous avons dû, avec l’ensemble des acteurs, nous adapter et faire preuve d’agilité, de réactivité et d’inventivité. Même si le virus reste présent, un retour vers la vie normale se dessine avec la reprise progressive du trafic aérien. 

Faire émerger les futurs acteurs technologiques de demain, accompagner les transitions de notre industrie, développer les nouvelles technologies et infrastructures, voilà l’ambition qui est la nôtre. La préservation de l’environnement est donc un des objectifs prioritaires dans nos prises de décisions pour permettre la transition écologique et énergétique du secteur, qui doit s’accélérer. La DGAC poursuit aussi la modernisation de ses services de la navigation aérienne avec la mise en place de nouveaux outils plus performants afin d’optimiser les services rendus à nos usagers, tout en assurant les impératifs de sécurité et de sûreté. Il nous faut absolument moderniser nos moyens de contrôle. 

L’endettement de la DGAC, qui s’est considérablement accru en raison de l’impact de la crise sanitaire sur nos recettes, nous impose de réaliser des économies mais aussi de réfléchir à la pérennité de notre financement. Dans ce contexte, nous poursuivons l’accompagnement de notre secteur et préparons avec ses différents acteurs la reprise du transport aérien. 

Enfin, je tiens à souligner l’engagement professionnel constant et le profond sens du devoir de l’ensemble des agents de la DGAC.

 

BC : La crise sanitaire affecte gravement le secteur de l’aviation civile dans le monde entier. Pourriez-vous résumer en quelques chiffres-clés la situation en France à fin 2021 ?

Damien Cazé : Une notable reprise a été constatée durant l’été, le trafic passagers en 2021 devrait atteindre de l’ordre de 40% du trafic 2019, avec une grande disparité selon les faisceaux. Aujourd’hui, on a retrouvé de l’ordre de 80% du trafic aérien domestique et une part très importante du trafic intra-européen (hors UK) mais le trafic long-courrier est plus à la traîne et de nombreux marchés long-courriers n’ont pas encore redémarré. 

À titre d’illustration, le trafic à destination des États-Unis représente encore moins de 20% du trafic 2019 même si la réouverture du marché nord-américain depuis le 8 novembre redonne des couleurs à cette destination. On reste à moins de 10% pour le Japon et moins de 5% pour la Chine. Les 17 compagnies aériennes françaises exploitant des avions de plus de 20 sièges ont supporté la crise grâce aux mesures spécifiques d’urgence au secteur aérien en complément des mesures générales. 

Pour les aéroports parisiens on note une chute du trafic passagers de près de 80 % au premier semestre 2021. Comparé à 2019, le groupe ADP a retrouvé en 2021 environ 50 % de son activité. 

Enfin l’effectif des entreprises adhérentes au GIFAS, qui était de 194 000 personnes en France au 31 décembre 2020, a diminué pour la première fois en 10 ans (-4%) ; les entreprises sous-traitantes et les prestataires on été nettement plus touchés (-7,5%) que les donneurs d'ordre (-0,9%). 

Airbus anticipe désormais un retour à ses niveaux de production d’avant crise entre 2023 (court/moyen-courrier) et 2025 (long-courrier).  L’avionneur accorde ainsi la priorité à la remontée en cadence de la famille A320 et à la transformation de son organisation industrielle. Ainsi, 43 appareils ont été produits en juillet et 45 à fin octobre, avec un objectif de 65 au 2ème trimestre 2023 soit un niveau supérieur au niveau d’avant crise (60 appareils par mois). Sur le segment long courrier, Airbus prévoit une montée en cadence plus lente de 5 à 6 A350 par mois à l’automne 2022.

 

BC : L’Organisation de l’aviation civile internationale a mis en place en juillet 2020 une cellule de réflexion (CART – Council Aviation Recovery Task Force) chargée de préparer les mesures à prendre en vue de reconnecter le monde de l’aviation une fois passée la crise pandémique. Quelles relations la DGAC entretient-elle avec cette Task Force ?

Damien Cazé : La CART a été créée en avril 2020 sous l’impulsion du représentant permanent de la France à l’OACI. Cette équipe spéciale de haut niveau en charge de la reprise du transport aérien international rassemble depuis sa création près de 60 représentants de 14 États membres, d’organisations internationales (secrétariat de l’OACI, OMS, Organisation mondiale du tourisme) et régionales (UE/AESA, Union africaine, CEAC, ACAO, LACAC), ainsi que de l’industrie (IATA, ACI, CANSO, ICCAIA). La participation active de l’OMS garantit que les recommandations sont alignées avec les standards internationaux en matière de santé. La CART a publié son premier rapport le 1er juin 2020, qui énonçait d’une part les principes généraux d’une stratégie de moyen terme et de gouvernance internationale intersectorielle afin de faciliter la reprise, et d’autre part, détaillait dans une annexe plus technique (« take-off document ») des mesures pratiques principalement de sécurité sanitaire. Ces travaux ont depuis fait l’objet de deux actualisations et nous restons associés à ses travaux grâce à notre représentation permanente à l’OACI, dont je salue l’engagement sous l’autorité de l’ambassadeur Laurent Pic.

 

BC : Compte tenu des contraintes de la crise pandémique, quelles grandes orientations prévoyez-vous de prendre en 2022 dans chacune des différentes missions de la DGAC ?

Damien Cazé : Comme vous le savez, la DGAC est pleinement mobilisée par les objectifs qui ont été fixés par le gouvernement : favoriser la reprise du transport aérien tout en engageant résolument sa décarbonation avec l’ensemble des acteurs du secteur. Si la concrétisation des ruptures technologiques dans la production des aéronefs de demain s’inscrit dans le long terme, la DGAC est dès à présent pleinement engagée dans la transition écologique qui vise à réduire l’impact de l’aviation sur la qualité de l’air et sur les nuisances sonores.

Depuis le 2 décembre 2021, le Free Route est une réalité dans près de 50% de l’espace aérien français au-dessus du niveau de vol 195 (6 000 mètres). Ce concept européen d’espace à cheminement libre (Free Route Airspace) consiste à donner aux opérateurs aériens la possibilité de choisir librement leur itinéraire, leur offrant non seulement des possibilités accrues de choix de planifications de leurs routes, mais également une diminution de la longueur de route moyenne déposée, contribuant à des vols plus respectueux de l’environnement. 

La modernisation de l’outil d’aide au contrôle avec le programme 4-FLIGHT qui sera mis en service cette année apportera des performances opérationnelles de haut niveau, favorisant un écoulement plus fluide des vols grâce à une trajectoire de l’aéronef mieux planifiée et optimisée, ce qui permettra de réduire la durée de vol et d’autant la consommation de carburant et d’émission de CO2. Les nuisances sonores à proximité des aéroports seront aussi diminuées grâce à des montées et des descentes continues sur l’ensemble du territoire. 

Mais la reprise du transport aérien dépendra également de la capacité des acteurs du secteur à stimuler la demande après une période de confinements qui a fait naître des frustrations accumulées par l’immobilité forcée des voyageurs potentiels. L’amélioration de la qualité de service offert aux passagers aériens dans les aéroports est parmi d’autres un facteur important de nature à relancer cette demande.

La DGAC accorde une attention particulière à la mise en œuvre du concept de Smart Airport. Ce concept regroupe l’ensemble des projets qui visent à améliorer la qualité des services aéroportuaires en favorisant la fluidité et la brièveté du temps de parcours des passagers avant l’embarquement et en offrant aux compagnies aériennes et aux assistants en escale des facilités opérationnelles qui sont sources d’économies. 

D’une part la numérisation et l’automatisation (enregistrement par des bornes, déposes de bagages automatiques, portillons automatiques de contrôle aux frontières et d’embarquement) permettront de fluidifier le parcours des voyageurs en supprimant les arrêts imposés par les contrôles tout en conservant un haut niveau de sûreté grâce à l’intégration de technologies innovantes qui sont expérimentées avec le concours des aéroports dans le cadre du programme national d’innovation « Vision sûreté ». Je fais référence par exemple à la reconnaissance faciale, aux scanners de sûreté ou encore à l’analyse comportementale.

Côté piste, une gestion en temps réel globalisée et coordonnée entre les différents prestataires de l’aéroport permettra de centraliser et de mieux coordonner la gestion de l’ensemble des ressources (postes avions, passerelles d’embarquement, bornes d’enregistrement, tapis à bagages, bornes d’entrée et de sortie des parkings) comme le préfigure l’Airport Opération Centre de l’aéroport de Nice. 

Sur le plan environnemental, nos réalisations permettent de densifier les installations aéroportuaires, de réduire les emprises bâties, de mutualiser les ressources et de réaliser des économies d’énergie. Le Smart Airport s’inscrit dans l’objectif de verdissement des aéroports. Au sein de la DGAC, le Service technique de l’aviation civile (STAC) est pleinement investi dans ce projet en apportant son expertise technique et en accompagnant le développement de toute solution innovante par ses tests, voire ses certifications de produits et de solutions.

La DGAC est sur tous les fronts pour maintenir un haut niveau de sécurité et de sûreté dans le transport aérien français. Notre priorité est de revenir à une activité de surveillance normale, autant qu’il est possible, en 2022. Nous restons néanmoins vigilants quant aux risques liés à la faible activité qui perdurent. La baisse du trafic a, par exemple, augmenté le nombre d’oiseaux à proximité des pistes et le danger qu’ils représentent pour les aéronefs au décollage. 

Nous sommes également mobilisés et réactifs pour adapter nos méthodes aux évolutions de la crise et accompagner les opérateurs pour mettre en place des opérations inusuelles liées à la pandémie (transport de fret en cabine, évacuations sanitaires pour éviter la saturation des hôpitaux, etc.) en toute sécurité. Dans ce contexte, il apparaît nécessaire que le calendrier des nouvelles exigences règlementaires européennes soit raisonnablement adapté, afin de ne pas étouffer des acteurs déjà fortement ébranlés.

Enfin la DGAC est engagée, au côté de la Direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM), dans l’action de l’agence de l’innovation pour les transports (AIT), créée à l’initiative du ministre des Transports pour mettre les moyens de l’administration au service de l’innovation dans le domaine des transports. Regroupés dans le programme « Propulse » de l’AIT lancé dès cet été, quatre appels à projets ont permis de sélectionner les premières initiatives, internes et externes, qui bénéficieront de l’appui de l’AIT. Parmi eux figurent notamment un volet « transports durables » et un volet « communautés de données », ce dernier visant à regrouper les entités offreuses de données et les porteurs de solutions numériques aux services des usagers des transports. Parmi les projets qui pourront bénéficier de cet accompagnement personnalisé sur l’année 2022 on peut noter la présence de projets aéroportuaires et multimodaux. 

En effet, parmi les lauréats « communautés de données », il y a un projet conjoint ADP SNCF et un projet généralisant le CDM ( Innov ATM).

 

BC : Quelle est votre position relative aux mesures prévoyant de supprimer des lignes intérieures au prétexte que les liaisons ferroviaires sont moins polluantes (exemple : suppression des navettes Paris-Bordeaux) ?

Damien Cazé : Issue des travaux de la Convention citoyenne pour le climat, la loi portant lutte contre le dérèglement climatique et le renforcement de la résilience face à ses effets a été promulguée et publiée au Journal officiel le 24 août 2021. Elle reflète l’ambition écologique du Gouvernement dans le domaine des transports et ancre l’écologie dans notre société.

L’article 145 interdit les vols quand il existe une alternative en train en moins de 2h30, à l’exception des vols majoritairement empruntés par des passagers en correspondance vers une destination plus lointaine ou des vols décarbonés. Cette mesure, en cours d’examen par la Commission européenne, entrera en vigueur cette année. 

Les correspondances train-avion dans les aéroports seront facilitées, ainsi que les billets combinés proposés par la SNCF et Air France. 

 

BC : La contribution de l’aviation civile aux émissions de CO2 est de l’ordre de 2%. Cette réalité semble être ignorée du monde politique et médiatique qui désigne l’aviation comme l’une des principales sources de pollution atmosphérique : la DGAC ne devrait-elle pas organiser des campagnes d’information à la télévision ?

Damien Cazé : La question de l’impact du transport aérien sur le changement climatique est devenue ces dernières années une préoccupation sociétale majeure et un enjeu de premier plan pour l’aviation civile internationale. Bien que les acteurs du secteur se soient engagés dans un effort de décarbonation sans précédent de leurs activités, comme en témoigne l’annonce par IATA le 4 octobre dernier de l’objectif de neutralité carbone à l’horizon 2050, les opinions publiques n’ont pas encore pleinement pris conscience des bouleversements en cours. 

Dans ce contexte, le ministre délégué chargé des Transports a souhaité, avec le concours d’acteurs et d’observateurs du secteur, coordonner la création de « l’Observatoire de l’aviation durable » dont l’objectif sera de travailler sur les effets du transport aérien sur le réchauffement climatique et sur les actions mises en œuvre aux niveau national, européen et international pour décarboner le transport aérien. C’est la DGAC qui assurera le secrétariat de cet Observatoire.

 

BC : Pourrait-on faire le point sur les relations que la DGAC entretient avec les différentes agences internationales et l’aviation étatique ?

Damien Cazé : L’aviation civile évolue dans un environnement très européen et international. La DGAC contribue à l’élaboration et à la défense des positions françaises : quelque 300 collaborateurs de la DGAC participent ainsi à plus de 800 groupes de travail européens et internationaux et 60 de ses agents sont actuellement en poste à l’étranger au sein de l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI), la Commission européenne, l’Agence européenne de la sécurité aérienne (AESA), Eurocontrol et différentes organisations. 

La Direction du transport aérien (DTA) coordonne la participation des dirigeants et des experts de la DGAC dans les organismes européens et internationaux. Elle entretient une relation permanente avec le conseil de l’OACI et deux agents sont placés sous l’autorité de l’ambassadeur, représentant permanent de la France au conseil. 

La direction de la sécurité de l’Aviation civile (DSAC) en tant qu’autorité de surveillance, s’investit activement auprès de l’AESA, afin de lui apporter son expertise et de porter les positions françaises. Cette coopération quotidienne et constructive s’est illustrée ces dernières années à la suite des accidents du B737max, de l’accompagnement des conséquences du Brexit ou encore avec les nombreuses mesures d’adaptation de façon coordonnée au niveau européen pour lutter contre le COVID-19 et des nombreuses mesures d’adaptation qui ont été mises en place de façon ordonnée au niveau européen. La DSAC participe également activement aux instances consultatives stratégiques de l’Agence (Technical bodies, Member states advisory body) ainsi qu’à ses instances de pilotage et au conseil d’administration.

Nos relations avec Eurocontrol peuvent être décomposées en deux parties distinctes, l’agence Eurocontrol et le Gestionnaire de Réseau Network Manager (NM). La Direction des services de la navigation aérienne (DSNA) a des relations constantes avec le NM pour la gestion des flux dans toutes les phases stratégiques, pré-tactiques et tactiques afin d’assurer la capacité nécessaire au réseau. Le NM assure un rôle majeur dans l’amélioration de la prévisibilité du trafic aérien qui reste le point clé de l’optimisation des ressources permettant de répondre à la demande dans le respect des intérêts des usagers. 

Après la mise en place de la coordination pour la gouvernance du réseau de communications New PENS, la direction des services de la navigation aérienne (DSNA) a signé, avec Eurocontrol et les acteurs majeurs concernés par les échanges par liaison de données, un Mémorandum de Coopération sur lequel va être bâtie la gouvernance des échanges datalink (ACDLS). À l’instar de New Pens, Eurocontrol aura une fonction importante dans cette gouvernance pour la bonne réalisation de ces échanges. 

La DSNA participe avec Eurocontrol au programme (SESAR) de modernisation de la gestion du trafic aérien en Europe qui s’inscrit dans le contexte du Ciel Unique Européen depuis sa phase initiale de définition. La DSAC est également membre du volet recherche et innovation piloté par un partenariat appelé SESAR JU qui a participé à environ 80 projets de SESAR 1. Dans le cadre de SESAR 2020, la DSNA participe ou a participé à 40 projets et a assuré la coordination de 4 d’entre eux : toBefree (Free route cross frontalier), SAFE (Sécurité trafic aéroports), xStream (gestion étendue des arrivées sur des aéroports congestionnés) et le projet ADSCENSIO (Utilisation dans les systèmes sol de la trajectoire 4D calculée à bord et transmise par liaison de données air-sol). La DSNA se prépare actuellement à adhérer à la nouvelle structure SESAR 3 mise en place dans le cadre du programme de financement européen Horizon Europe. Un accent particulier sera mis sur la diminution de l’impact environnemental des vols, sur les drones et sur la digitalisation de la gestion du trafic aérien. La DSNA est aussi impliquée dans le déploiement SESAR, elle participe à la gouvernance du déploiement SESAR et a fait bénéficier ses programmes des financements de la Commission Européenne pour accélérer le déploiement SESAR. Elle devra aussi se conformer au règlement de mise en œuvre appelée Common Project 1 (Règlement 2021/116) qui fixe des échéances de 2022 à fin 2027 pour 6 groupes de fonctionnalités issus des résultats de la recherche et innovation SESAR 1 et SESAR 2020.

Enfin la DGAC entretient de multiples relations avec les acteurs de l’aviation étatique, qui sont des partenaires au quotidien même si l’aviation civile et l’aviation étatique ont parfois des besoins ou des visions divergentes sur certains sujets. Ces relations portent sur des domaines très variés comme la cohabitation harmonieuse dans l’espace aérien et la coordination opérationnelle en temps réel, la navigabilité d’aéronefs civils utilisés pour les besoins du ministère des Armées, etc.. L’ingénierie aéroportuaire est aussi concernée avec la conformité de certaines infrastructures militaires aux normes civiles ainsi que leur reconversion lors de leur fermeture. Le volet formation est présent avec les qualifications des personnels navigants et contrôleurs militaires ainsi que les conditions de leur reconversion dans le civil. Par ailleurs, le ministère des Armées est étroitement associé à la rédaction de nombreux textes réglementaires nationaux de l’aviation civile, dont ils sont des usagers avec des besoins souvent spécifiques.

 

BC : Comment la DGAC gère-t-elle l’arrivée en force des drones dans l’espace aérien ?

Damien Cazé : Pour accompagner ces nouveaux usages, la DGAC a été pionnière en matière de réglementation des aéronefs sans équipage à bord. Elle a défini un cadre dès 2012 (les scénarios standard) qui permet aux exploitants de réaliser un très grand nombre d’opérations (plus de 200.000 heures de vol annuelles) tout en maintenant un haut niveau de sécurité pour les personnes au sol et les autres aéronefs. Pour les opérations plus complexes, les autorisations sont délivrées aux exploitants demandeurs au cas par cas, sur la base d’une étude de sécurité. Ces principes de réglementation ont largement été repris par la réglementation européenne applicable depuis le début de l’année. 

Les missions actuelles des drones civils sont très fortement liées au territoire : photographie aérienne, cartographie, livraison de colis sur des distances relativement courtes, show aériens. Les drones volent généralement à des hauteurs inférieures aux hauteurs normales d’évolution de l’aéronautique habitée. Lorsque ce n’est pas le cas, des conditions supplémentaires sont exigées : restrictions aux abords des aérodromes, notification des vols hors vue aux opérations militaires à basse hauteur ou réservation d’un espace dédié (ZRT). On observe toutefois une augmentation progressive de la complexité des opérations de drones : hauteurs et distances plus grandes, survols de population, intégration dans l’espace aérien. De nouvelles exigences, dont certaines sont d’ores et déjà définies dans la réglementation européenne, doivent être remplies pour permettre de maintenir, voire d’améliorer, le niveau de sécurité actuel : certification des vecteurs et des exploitants, qualification du personnel en charge de leur maintenance et de leur mise en œuvre, définition d’espaces et de services dit U-space permettant d’assurer la compatibilité du trafic habité et non habité. La DGAC continue de travailler en étroite collaboration avec la filière drone sur ces sujets, notamment au sein du conseil pour les drones civils (CDC).

 

BC : Je souhaiterais aborder maintenant le domaine d l’aérostation. En 2019, le Haut conseil scientifique de la 3AF a constitué un groupe de travail « Aérostation et Dirigeables ». Un premier rapport d’étape est paru fin 2020, que nous vous avons remis. Il ressort de ce rapport que la France est leader mondial en ballons libres scientifiques et en ballons captifs, et qu’elle fait la course en tête dans le renouveau des dirigeables. Nous avons également organisé un colloque le 25 juin 2021 à Meudon qui a rassemblé toute la communauté française et dont les actes sont publiés dans la dernière Lettre 3AF n° 49.

On note dans le domaine des dirigeables une innovation de rupture inconcevable il a 50 ans. Le seul concurrent identifié étant aujourd’hui Google. Pour conforter cette avance française durable, les membres du groupe de travail ont établi un projet commun pour lequel ils sollicitent une subvention.

Damien Cazé : Concernant la filière aérostatique stratosphérique (opérés généralement entre environ 16 et 35 km d’altitude, l’altitude maximale théorique de flottabilité des ballons étant 50 km), la France figure effectivement parmi les leaders mondiaux, notamment avec le CNES qui est, depuis 1964, un opérateur historique de la stratosphère avec des ballons scientifiques ouverts (BSO) ou pressurisés sphériques (BPS), en particulier pour des finalités d’étude météorologique. Le CNES a lancé une nouvelle campagne de 15 à 20 ballons STRATEOLE, en vol entre octobre 2021 et avril 2022, depuis les Seychelles, chaque ballon étant capable d’évoluer pendant 3 à 4 mois entre les latitudes -20° et +15° et à des altitudes de 18 à 20 km. Le CNES travaille également sur une nouvelle génération de ‘ballons manœuvrant’ avec une capacité de contrôle d’altitude, grâce à un ballonet d’Hélium leur permettant de se positionner dans des vents de directions variables. 

S’agissant des plates-formes stratosphériques HAPS (High Altitude Platform Systems) ayant des finalités voisines de celles des satellites, comme la surveillance, la télédétection ou encore les télécommunications (ex. relais Internet), il existe aujourd’hui des projets de dirigeables (ex. ‘Stratobus’ de THALES ALENIA SPACE) ou de ballons (‘Stratollite’ de WORLD VIEW). Toutefois peu de prototypes HAPS aérostatiques sont actuellement testés en vol, depuis l’abandon par ALPHABET/GOOGLE le 21 janvier 2021 du projet de ballons ‘Loon’ (flotte qui a compté au maximum, courant 2020, un total d’environ 90 ballons simultanément en vol). La principale raison de l’abandon de ‘Loon’ était le modèle d’affaires jugé non rentable.

 

BC : Comment la DGAC gère-t-elle l’aérostation dans le trafic aérien ?

Damien Cazé : Le trafic du dirigeable peut être associé à un trafic d’aviation général. En effet il s’agit de machines de type VFR ou VFR de nuit volant en dessous du FL100 à une vitesse semblable à celle d’un ULM soit environ 100 km/h. Le dirigeable n’a donc pas les contraintes de route d’une machine IFR et vole bien en dessous du niveau de vol en croisière d’un avion de ligne. Bien sûr, même sans ces contraintes, les règles de l’air doivent continuer à s'appliquer rendant ainsi le dirigeable prioritaire face aux aérodynes plus lourd que l’air. Certains projets de dirigeables prévoient un niveau de vol supérieur au FL600 mais il s’agit de dirigeables ayant pour mission la surveillance ou étant liés aux télécommunications. 

En très faible nombre depuis l’arrêt du projet GOOGLE ‘Loon’, les rares vols expérimentaux de quelques projets stratosphériques font aujourd’hui l’objet d’un traitement spécifique. En particulier, lorsqu’il s’agit d’un vol stratosphérique international (ex. ballons ‘STRATEOLE’ du CNES), le pays de l’opérateur doit, plusieurs mois en amont du vol, transmettre par voie diplomatique des demandes à l’ensemble des pays (souverains, en vertu de l’article 1er de la Convention de Chicago) qui seront potentiellement survolés. Pendant le vol, l’opérateur doit, plusieurs heures avant que son aérostat (équipé d’un transpondeur) ne pénètre dans un nouvel espace aérien, prévenir le service de navigation aérienne concerné et communiquer les informations de position et d’altitude.

Dans la perspective d’une possible augmentation à l’avenir du nombre d’opérations stratosphériques (dont les HAPS aérostatiques), un nouveau cadre réglementaire devra alors être conçu pour la sécurité, la navigabilité et la gestion de ces nouveaux trafics dans l’espace aérien. À noter que les ballons expérimentaux ‘Loon’ ont à plusieurs reprises, entre 2014 et 2020, généré des situations dangereuses lors de descentes non-contrôlées dans différents espaces aériens mondiaux, y compris français. Au niveau européen, le projet de recherche ‘ECHO’ de l’entreprise commune SESAR travaille sur un CONOPS pour le HATM (Higher Airspace Traffic Management) qui devrait être finalisé fin 2022. La DSNA, l’ENAC, DASSAULT AVIATION, THALES ALENIA SPACE, AIRBUS et l’ONERA sont partenaires du projet.

Par ailleurs, plusieurs projets d’exploitation commerciale de dirigeables existent en Europe et notamment en France. En particulier, la société française « Flying Whales » a pour projet de produire et d’exploiter des dirigeables hauts comme l’Arc de Triomphe et longs comme près de 3 A380 capables de transporter des charges pouvant aller jusqu’à 60t. On notera également le projet de Dirisolar d’un dirigeable de conception nouvelle, à fond plat, pour assurer du transport touristique de passagers. L’AESA sous l’impulsion de l’industrie européenne du dirigeable représentée par l’AMG (Airship Manufacturer Group dans lequel la société Flying Whales est particulièrement active) a publié un BIS (Best Intervention Strategy) comprenant des projets règlementaires dédié aux dirigeables. Les commentaires apportés à ce BIS ont montré qu’un travail important d’élaboration de la future réglementation européenne restait encore à faire. L’AESA a décidé de confier à la DSAC (Direction de la Sécurité de l’Aviation Civile) et au LBA (l’équivalent de la DSAC allemande) le soin d’élaborer une deuxième version d’un BIS dirigeable prévue au plus tôt pour la fin du premier semestre 2022. Ce BIS constitue un préalable pour l’EASA avant de lancer une consultation classique de ces projets de textes. Ce long process d’élaboration de la réglementation européenne est à ce jour limité aux domaines des Opérations aériennes, des licences de pilotes et du maintien de navigabilité. A ce stade l’AESA ne prévoit pas de publier de normes relatives aux contraintes applicables aux plates-formes accueillant des dirigeables. 

Sur ce sujet, la DGAC accompagne activement les projets de création de nouvelles plates-formes dédiées aux dirigeables en menant avec le futur exploitant de ces plates-formes une réflexion sur les normes techniques à mettre en place tant du point de vue de la sécurité que de la sûreté. S’agissant des projets qui souhaitent exploiter leur dirigeable sur un aérodrome existant, la DGAC examine avec les parties intéressées les modalités et le cas échéant la faisabilité de la cohabitation entre le trafic actuel et la présence de dirigeables ayant des caractéristiques de taille, de vitesse et de manœuvrabilité bien spécifiques. A ce titre, la localisation des infrastructures au sol constitue un volet sensible en vue de garantir la réussite des projets industriels et opérationnels de nouveaux dirigeables.

 

BC : La crise actuelle oblige probablement à revoir à la baisse les admissions des candidats pilotes de ligne à l’ENAC : qu’en est-il ?

Damien Cazé : L’ENAC assure la formation d'élèves admis à un concours républicain. Les élèves reçus à ce concours, parmi les plus sélectifs, bénéficient pendant deux ans d'une formation théorique et pratique complète avec environ 200 heures de vol. À l'issue, les élèves pilote de ligne (EPL) se voient délivrer une licence de pilotage commerciale (CPL/IR) et une qualification de type multipilote ainsi qu’un grade de licence universitaire sanctionnant leurs années d'étude. Depuis plusieurs années le volume annuel EPL formés par l'ENAC est fixé à 25 élèves par an. Ce chiffre est évidemment loin de couvrir les besoins des compagnies ne serait-ce que pour combler les départs à la retraite.

 

BC : Pour conclure notre entretien, pourriez-vous en quelques mots formuler votre vision d’ensemble de l’aviation civile en France à court et moyen terme ?

Damien Cazé : La vision de la DGAC est ambitieuse : faire émerger les futurs acteurs technologiques de demain, accompagner les transitions écologiques et énergétiques de notre industrie et développer les nouvelles technologies et infrastructures. 

À moyen-long terme, l’objectif de la DGAC est de porter la décarbonation dans l’aérien en proposant des solutions technologiques résolument engagées dans la transition écologique : nouvelle génération d’aéronefs 100% électrique, avion bas carbone, avion à hydrogène, développement des biocarburants et des carburants synthétiques, etc.. 

À plus brève échéance, la capacité d’innovation des acteurs du transport aérien s’illustrera dans le développement de la mobilité aérienne urbaine avec de nouveaux aéronefs électriques à décollage et atterrissage verticaux (VTOL) qui vont être testés à partir du mois de mars sur l’aérodrome de Pontoise. Pilotés et à terme télépilotés comme des drones, ces aéronefs peu bruyants et décarbonés transporteront des passagers ou du fret dans un environnement urbain à basse altitude. La réglementation devra imposer aux VTOL un haut niveau de sécurité, comparable à celui des avions de ligne. Les exigences réglementaires porteront sur la navigabilité de la machine, les règles opérationnelles à respecter, les qualifications des pilotes ou télépilotes. Pour favoriser leur essor, les VTOL devront également se conformer à des exigences spécifiques en matière de sûreté et de cybersécurité.  

Avec le soutien financier de l’État et l’accompagnement de la DGAC, gageons que les acteurs seront au rendez-vous de 2024 pour proposer des vols de démonstration de VTOL lors des Jeux olympiques et paralympiques, et de 2030 pour le premier avion bas carbone français. Nous avons en quelque sorte une nouvelle frontière à atteindre dans le domaine aérien, qui doit continuer à innover et à faire rêver.




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