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Interview de Daniel Kunth, directeur de recherche émérite à l’Institut d’Astrophysique de Paris (IAP)
Daniel Kunth
©Photo L. Honnorat
Daniel Kunth est directeur de recherche émérite à l’Institut d’Astrophysique de Paris (IAP). Après l’obtention de son doctorat de 3e cycle, il débute sa carrière d’astrophysicien en 1973 à l’observatoire européen austral (ESO - European Southern Observatory) du Chili dans le cadre de son service militaire en qualité de coopérant. L’ESO, officiellement « l’Organisation européenne pour des observations astronomiques dans l’hémisphère austral », est une organisation intergouvernementale pour l’astronomie fondée en 1962 par cinq pays européens, dont la France qui contribue à l’époque pour 30 % au budget. Son service achevé, il rejoint l’observatoire de Meudon puis en Californie, le CALTECH, pour y effectuer son doctorat d’état. Il revient à l’ESO en 1978 mais au quartier général scientifique à Genève, où il participe à la conception des instruments nécessaires aux observations. En 1980, à la demande de Jean Audouze, qui dirige alors l’IAP, il rejoint cet organisme, qu’il ne quittera désormais plus, à l’exception des deux ans (1990-1992) passés au ministère de la Recherche et de la Technologie, appelé par le ministre Hubert Curien. En 1991, il est à l’initiative de la « Nuit des étoiles », manifestation qui s’est durablement inscrite dans le temps.
Bruno Chanetz : Pourquoi le CNES a-t-il requis votre concours dans le cadre du projet FEDERATION ?
Daniel Kunth : Professionnellement j’ai toujours été très proche du CNES. Je connais depuis longtemps l’actuel Président, Jean-Yves Le Gall, qui m’avait accompagné dans une mission scientifique au Chili, alors qu’il préparait sa thèse de doctorat. En 2009, pour l’année mondiale de l’astronomie, j’étais au CNES à Kourou pour la nuit des étoiles organisée pour la Guyane.
Par ailleurs, mon rôle au ministère était d’assurer le partage des connaissances et leur diffusion. Il me semblait important de passer d’une connaissance technique individuelle à une connaissance partagée. J’avais également l’objectif de croiser d’autres regards, d’établir des liens avec d’autres disciplines, de mêler par exemple la science avec la musique ou les arts plastiques. Cette approche multidisciplinaire, qui permet d’autres postures, est féconde, elle inscrit la science là où elle doit se trouver : la culture.
Ce mode de fonctionnement est assez proche de la manière dont je conçois le projet FEDERATION. Il faut tisser des liens avec des personnes d’origines différentes afin de faire fructifier nos savoirs respectifs et susciter de nouvelles vocations. À l’ESO, comme au sein de tout organisme international, je devais déjà aller vers des personnes, avec qui je ne partageais ni la même culture, ni la même langue, ni des techniques de travail similaires. C’est une excellente formation pour aller vers les autres.
B.C. : Parlez-moi du monde de l’astronomie, de sa manière de fonctionner, du modèle qu’il représente ?
D.K. : L’astronomie est parmi les disciplines scientifiques, celle qui réunit la plus grande communauté de passionnés. Les mondes des professionnels et des amateurs n’y sont pas disjoints. Ils ne s’ignorent pas. Actuellement il y a en France plus de 40 projets qui associent des professionnels et des amateurs.
Quand j’ai mis sur pied « la Nuit des étoiles filantes » en 1991, je me suis appuyé sur les réseaux très denses des clubs d’astronomie et des associations. L’astronomie est un domaine où les amateurs apportent beaucoup aux professionnels dans la mesure où ils observent la totalité du ciel d’une manière régulière. Tout événement nouveau ne passe pas inaperçu !
J’ai coutume de rappeler ce proverbe africain « Si tu veux aller vite, fais le seul, Si tu veux aller loin, fais-le avec les autres ». Il illustre parfaitement l’état d’esprit dans lequel nous travaillons au sein de cette communauté.
Dans le cadre du programme SETI (Search for Extra-Terrestrial Intelligence), à l’initiative du grand astronome Carl Sagan, des radioastronomes amateurs sont allés jusqu’à monter chez eux leurs propres radiotélescopes SETI. Pour cela, ils utilisaient des récepteurs radio très sensibles, permettant de surveiller la fréquence de l’hydrogène neutre dans les fréquences 1 420 MHz, ainsi que de petites paraboles de 3 à 5 mètres de diamètre comme antennes. Ils ont également prêté du temps calcul sur leurs ordinateurs personnels. Il est vrai que l’enjeu « chercher à capter des signaux d’une intelligence extra-terrestre » reste motivant !
Nous avons besoin des amateurs pour progresser. Ils ont certes des moyens d’observation moins performants que les nôtres, mais ils sont nombreux et patients.
Il est difficile pour un chercheur de mobiliser les moyens collectifs sur un temps long. En revanche les amateurs disposent de moyens plus modestes, mais peuvent les mobiliser des mois durant, ce qui leur permet de suivre une seule étoile jusqu’à sa disparition du ciel. En 1987, un astronome professionnel avait découvert à l’œil nu une étoile qui venait d’exploser, une supernova ! Les amateurs découvrent des novae, des astéroïdes et de nouvelles comètes très régulièrement.
Plus près de nous en 2016, dans le cadre du projet Vigie-Ciel et du réseau FRIPON, un intéressant projet de science participative, porté par le Muséum national d’histoire naturelle a été monté. Des équipes ont été formées et une centaine de caméras fish-eye placées sur des écoles afin d’observer les météores la nuit.
Récemment le projet Galaxy zoo, a permis la découverte d’une nouvelle classe de galaxies passée inaperçue précédemment. Ce résultat fut le fruit d’une collaboration très serrée entre amateurs et professionnels. Ces derniers ne pouvant visualiser les millions de galaxies qu’ils avaient découverts, ils établirent un protocole qui fut suivi par des centaines d’astronomes amateurs et le résultat dépassa toutes les espérances !
B.C. : Ce sont là des observations traditionnelles, mais est-ce que l’espace représente pour la société un fort enjeu au-delà de cette activité millénaire, qui consiste à scruter les astres ?
D.K. : Le spatial a des incidences quotidiennes sur notre société. L’irruption d’internet conduit à devoir augmenter le débit de circulation des énormes flux de données de manière exponentielle. Les sociétés du GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) se tournent vers le spatial privé afin de mettre en place des constellations de satellites comprenant jusqu’à 3000 éléments.
Le spatial a un impact pour la recherche de nuisances environnementales, pour les agriculteurs, le recensement des ressources planétaires. La SNCF utilise les satellites pour surveiller la déformation des rails de TGV. Etc…
B.C. : Peut-on véritablement s’attendre à ce que des amateurs réussissent à concevoir des systèmes plus performants que les organismes institutionnels ?
D.K. : Ce n’est pas impossible mais là n’est pas le but recherché. Pourtant, un jeune indien de 18 ans a bien conçu et réalisé le plus petit satellite connu de 62 g ! D’autre part la transversalité est un aspect important. On peut également imaginer pouvoir utiliser des concepts qui viennent d’autres communautés et les appliquer à l’espace. Je me souviens m’être servi avec succès d’un logiciel d’assurance-vie, pour la détermination statistique de nuages invisibles qui absorbaient la lumière des galaxies lointaines, en utilisant l’analogie « On ne meurt qu’une fois ».
B.C. : La communauté de l’espace est réceptive au concept de l’intelligence collective. Elle pratique depuis longtemps un partage des tâches entre les professionnels et les amateurs. Pensez-vous pouvoir agréger à cette communauté traditionnelle d’autres forces et comment envisagez-vous votre rôle au sein d’une communauté ainsi élargie ? Vous voyez-vous déjà agissant comme au sein d’un comité scientifique, jouant un rôle d’évaluateur des propositions ? Où est-ce que votre rôle se définira au fil du temps, tant tout est nouveau dans cette manière de fonctionner ?
D.K. : Je ne sais pas comment les initiateurs de FEDERATION vont organiser les évènements qui réaliseront cette hybridation nécessaire entre toutes les communautés, que ce soient les amateurs, les professionnels et le public. Comment faire remonter des initiatives multiples et qui s’épaulent étroitement ? Comment tirer parti de ce potentiel de merveilleux et d’aventure que l’espace recèle ?
Pour ma part, je tenterai d’agir au sein d’un comité s’il s’en crée un mais j’opterai pour favoriser la transversalité et fédérer autour de projets spatiaux des savoir-faire multiples et a priori disparates, voire parfois déconnectés. Une autre piste me semble être l’éducation. Le CNES a déjà une longue tradition dans ce domaine, ayant mis en place les clubs « CNES jeunes » il y a de nombreuses années. Au lieu de brider l’envie des jeunes d’envoyer des fusées dans l’espace à l’aide de boites métalliques peu fiables le CNES avait préféré confier à une association (ANSTJ) le soin d’organiser des stages « minifusées », etc. Au niveau des scolaires, il y aurait beaucoup à faire (conférences, projets, visites de sites etc.). En 2004, j’ai eu le bonheur de coordonner pour la France un projet international de l’ESO visant à mesurer la distance Terre soleil lors du transit de Vénus devant le Soleil. Des millions de participants de par le monde ont contribué à donner une valeur de cette distance conforme à celle que nous connaissons. Mais l’essentiel est que chacun avait le sentiment d’avoir participé à ce projet. Il y eu aussi un concours de films vidéo pour couvrir l’événement, réalisé par des scolaires, avec prix à la clé (visite de l’observatoire de l’ESO au Chili, excusez du peu !).
Tout ceci n’a de sens qu’en gardant à l’esprit que les projets du spatial s’échafaudent au long terme et qu’il est nécessaire de mobiliser les futures générations très en amont. ?
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