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Interview de Gaël Musquet, hacker
Gaël Musquet
©Photo L. Honnorat
Gaël Musquet a suivi une formation de météorologue - filière instrument, mais n’a pu aller jusqu’au bout de son cursus d’ingénieur faute de moyens financiers. En revanche il a toujours été soutenu par des entreprises pragmatiques à la recherche de compétences et non de titres. En 17 ans de carrière, il a travaillé dans 9 entreprises dont 6 ans pour l’État en tant que fonctionnaire. Il a quitté ses différents emplois en fin de mission ou quand il estimait manquer de moyens pour l’accomplir ou lorsqu’il ressentait un manque de reconnaissance. Il est maintenant chef d’entreprise après 4 ans passés dans une agence numérique parapublique.
Bruno Chanetz : Gaël Musquet, vous avez été présenté comme un hacker, mais de votre côté comment vous définissez-vous ?
Gaël Musquet : Je suis effectivement un hacker, je veux comprendre comment fonctionnent les systèmes d’information pour les optimiser, les réparer ou les détourner de leur usage premier. Je cherche des solutions aux problèmes avec pour priorité l’utilisation des logiciels, données, matériels et standards libres.
ODOSOSOH sont les piliers de l’OpenInnovation : OpenData, OpenSource, OpenStandards, OpenHardware.
BC : Pouvez-vous nous décrire les multiples activités que vous avez à l’heure actuelle ?
GM : Je travaille à la sécurisation des véhicules (automobiles, bateaux, trains, avions, hélicoptères). Je supervise les liaisons satellite et réseau interne de l’Aquarius, bateau de sauvetage de SOS Méditerranée / MSF Sea.
Je suis hébergé sur la Base Aérienne 105 à Evreux au sein de l’Escadre Aérienne de Commandement et Conduite Projetable - EAC2P. J’accompagne les militaires dans la supervision du trafic aérien, maritime et satellitaire grâce à la radio logiciel. J’apprends de ces militaires la conduite d’opération et la projection, pour l’association que je préside HAND - Hackers Against Natural Disasters. Sa vocation est de préparer les populations à la gestion de crises numériques face aux catastrophes naturelles auxquelles elles sont exposées.
Je suis porte-parole d’OpenStreetMap France, chapitre français du projet international de cartographie collaborative. Et enfin je suis astronome et radioamateur actif sur les indicatifs français et américain F4HXS et N6HXS.
BC : Le monde des hackers et des fablab et le modèle qu’ils représentent est-il bien accepté des chefs d’entreprises traditionnels ?
GM : Ce sont justement des chefs d’entreprises au sein de la Chambre de Commerce et d’Industrie des Portes de Normandie et l’État-Major de l’Armée de l’air qui ont créé la pépinière dans laquelle je suis installé. Il y a une vraie prise de conscience des décideurs de la nécessité de changer les pratiques d’innovations. Au-delà de cette pépinière nous créons une vraie communauté d’intérêt et d’échange scientifique et technique.
Rien de nouveau pourtant ! Des ateliers mécaniques et électroniques existaient déjà au sein des forces armées permettant de réaliser de petites séries. Nos activités communautaires permettent à nouveau d’officialiser des travaux de militaires ou de salariés jusque-là réalisés en cachette. Ce ne sont pas uniquement des technologies mises bout à bout mais une vraie implication humaine de personnes passionnées et curieuses.
BC : Comment vivez-vous cette expérience avec le monde militaire ?
GM : J’ai été objecteur de conscience et m’installer sur une base militaire n’a pas été évident. Mais j’ai découvert une vraie famille, des hommes et des femmes impliquées au quotidien à notre sécurité. Même si mes nombreux déplacements m’éloignent régulièrement de la Base, c’est toujours un plaisir d’y retourner pour échanger avec ces femmes et ces hommes sur leur quotidien. Ce sont leurs problèmes, besoins, méthodes et rigueur qui m’aident à progresser.
BC : Qu’apportez-vous à l’armée ?
GM : L’agilité de nos communautés. Nous remettons sans cesse en question la manière dont fonctionnent les systèmes. Nous collaborons en permanence avec nos homologues internationaux en tenant compte dans nos logiciels, données, standards des spécificités locales. Cette souplesse permet aux Forces d’être plus réactives et moins dépendantes de systèmes opaques et fermés sur le théâtre d’opérations.
BC : La démarche du CNES, en lançant le projet Federation est très novatrice. Pouvez-vous définir ce que votre communauté peut apporter à un organisme étatique tel que le CNES ?
GM : Nous pouvons réinjecter ce qui a été l’essence originelle de ces organismes : l’expérimentation, le droit à l’échec. J’ai eu la chance d’être compagnonné au Ministère de l’Écologie par des femmes et des hommes habités par leur métier. Ils m’ont transmis cet esprit expérimental, la curiosité. Ce n’était pas une question d’âge mais d’échange de bonnes pratiques. Ils ont eu la chance de vivre toute leur vie de leurs passions. Je retiens ce bonheur au travail qui s’est dégradé au gré des restrictions et de la rigidité hiérarchique. Les communautés de passionnés réintroduisent ces notions de partage, de transversalité et de convivialité.
BC : Et selon vous quelles sont les qualités que le CNES recherche en faisant appel à vous ?
GM : L’animation communautaire et la bienveillance. Il ne faut jamais oublier que derrière ces démarches d’innovation et derrière ces technologies il y a des personnes. Il faut à la fois les écouter et les soutenir dans leurs travaux et leurs passions.
BC : Peut-on véritablement s’attendre à ce que des amateurs réussissent à concevoir des systèmes aérospatiaux plus performants que les organismes institutionnels ?
GM : Je pense qu’il y a une véritable complémentarité. Dans tous les domaines où j’interviens les professionnels font appel à nous, amateurs, car nous disposons de plus de temps, de ressources humaines et parfois de plus de matériel !
Les réductions budgétaires et de personnels ont affaibli des services de l’État. Nous nous retrouvons donc, souvent, nous citoyens, par nos associations, acteurs, de facto, de l’action publique.
D’OpenStreetMap pour la cartographie de zones sinistrées à partir d’images satellites, aux radioamateurs fédérés au sein de l’AMSAT en passant par les astronomes amateurs et leurs multiples instruments nous prouvons au quotidien que l’innovation passe aussi par ces citoyens passionnés.
BC : Concrètement quel rôle pensez-vous pouvoir jouer au sein de FEDERATION ?
GM : Je pense y jouer un rôle d’animateur, de catalyseur en mettant en relation des projets, des associations, des femmes, des hommes. Les communautés auxquelles je contribue sont de vrais nids de veille car nous sommes des milliers de paires d’yeux à l’affût des dernières activités, nouveautés de nos homologues. Nous mettons en œuvre au quotidien dans nos maisons, entreprises, ateliers, les expérimentations qui susciteront de futures innovations et vocations. Je veux à travers ce projet que mes enfants et bien d’autres soient inspirés par nos passions. Nous, communautés de citoyens, sommes aujourd’hui en train d’acheter le Domaine de l’Hermitage [https://www.hermitage-lelab.com/] à Autrêches en Picardie. Ce lieu avec ses 30 hectares de bois, champs, prairies et ses 21 bâtiments sera un véritable centre d’expérimentation à ciel ouvert où nous inviterons FEDERATION.
BC : Et quels sont les moyens que vous jugez nécessaires pour mettre en oeuvre ce projet ambitieux, où beaucoup reste encore à définir ?
GM : Il faut des gens passionnés, curieux, volontaires. Un lieu, même symbolique, pour se réunir et échanger. Un peu de moyens financiers pour s’équiper en machine, antennes et outils. Des partenaires, associations scientifiques et techniques, des fablabs, des hackerspaces, des radioclubs, et des astroclubs …
Enfin une gouvernance pour renforcer l’identité du projet et le vivre ensemble. ?
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