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Le renouveau des dirigeables

09 décembre 2014 Lettre 3AF
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3AF, société savante sur tous les sujets qui touchent au vol, ne peut pas se désintéresser du renouveau des dirigeables. A la suite du lancement, en octobre 2013, du 7ème plan de la France industrielle, plan qui porte notamment sur les dirigeables, un état des lieux est nécessaire.

L’« âge d’or » des dirigeables, entre 1884 et 1963, a été jalonné de succès enthousiasmants et d’accidents spectaculaires. De nombreux ouvrages racontent cette histoire devenue mythique. Rappelons, par exemple, que la première traversée aérienne complète de l’Atlantique sans escale a été réalisée non par Lindberg en 1927, mais par Scott en 1919 avec 30 personnes à bord du dirigeable anglais R 34. Et si l’exploit de Lindberg a attendu trois ans pour se réaliser en sens inverse (le plus risqué) avec Costes et Bellonte en 1930, Scott a fait le trajet retour avec son dirigeable moins d’une semaine après l’aller en 1919.

L’ industrie du dirigeable est entrée dans un marasme quasi complet après le retrait du service des derniers dirigeables de l’US Navy en 1963. Quelques appareils ont été fabriqués dans les années 80 comme supports de publicité aérienne. Mais Internet a mis la main sur le marché de la publicité. Un dirigeable Goodyear a aussi survolé Paris dans les années 90 pour observer sur de longues durées le trafic routier et ses embouteillages. Les satellites d’observation ont ensuite conquis ce marché naissant. Mais aujourd’hui le marché potentiel des dirigeables apparaît comme immense. Entre les transports de charges dans les zones difficiles d’accès, les stations stratosphériques de communications, la surveillance rapprochée, l’exploration scientifique et le tourisme aérien, nul ne peut en prédire l’ampleur. Car ce qui manque, ce n’est pas le marché, ce sont les démonstrateurs satisfaisants pour les acheteurs potentiels.

L’explosion récente du marché des vols ludiques et touristiques en montgolfière ne saurait occulter le principal inconvénient des appareils aérostatiques : leur extrême sensibilité au vent. A tel point qu’une programmation de vol à l’avance s’achève au dernier moment souvent par le report du vol, en moyenne deux fois sur trois. Olivier Fabregat, CEO de Air Touraine, qui organise notamment des vols en Montgolfière au dessus des châteaux de la Loire, me citait récemment le record du nombres d’annulations successives pour un même client: sept ! Il y a des clients passionnés et opiniâtres…

Si les vols en montgolfières trouvent néanmoins de nombreux clients, enchantés quand leur vol a réussi, les vols en dirigeables sont encore plus handicapés par l’impérative nécessité d’une équipe au sol à l’atterrissage. Sans cette équipe spécialisée, le dirigeable ne peut pas se poser. Et quand le vent risque de dépasser 25 km/h, le dirigeable ne peut plus se poser du tout…Depuis plus de cent ans, les partisans du dirigeable oeuvrent pour l’émergence des innovations qui permettront de s’affranchir de ces contraintes et de ces limitations d’emploi rédhibitoires. Et ils sont en passe d’être enfin récompensés. Voici comment.

 
En 1993, la Fondation Zeppelin en Allemagne a lancé le renouveau des dirigeables en concevant un appareil avec une propulsion révolutionnaire. Le premier vol commercial a eu lieu en 2001. Quatre hélices orientables permettent au Zeppelin NT (ci dessus) de se poser sans couper les moteurs, d’embarquer des passagers et de redécoller sans aide au sol. Toutefois le Zeppelin NT a toujours besoin d’une équipe au sol de trois personnes s’il veut s’arrêter complètement. Il n’est pas « autonome » dans ses manoeuvres, comme l’est l’hélicoptère. Il ne peut donc pas aller se poser en un lieu non prévu à l’avance et non préparé pour son atterrissage.

Le Zeppelin NT assure ses vols touristiques à partir de Friedrichshafen, le berceau historique de l’épopée Zeppelin. Quatre nouveaux exemplaires de cet appareil ont été construits depuis 2003. L’un d’eux a effectué deux saisons de vols touristiques, en 2013 et 2014, à partir de l’aéroport de Pontoise. Grâce à l’énergie d’Eric Lopez, CEO d’AirShip Paris, le dirigeable est donc réapparu dans le ciel français pour effectuer des vols commerciaux touristiques de passagers, cent ans après l’épopée de la Transaérienne.

La mise en service du Zeppelin NT en 2001, constitue une avancée technique significative. Sa disponibilité atteint en effet 70 % en moyenne. La disponibilité est la probabilité, fondée sur la statistique, de réaliser effectivement à la date prévue un vol programmé à l’avance. Les clients potentiels du dirigeable attendent une disponibilité de 90 % au moins, comme celle des avions et des hélicoptères. Une compétition s’est ainsi amorcée dans le monde pour faire mieux que Zeppelin, c’est à dire inventer et réaliser un appareil qui pourrait opérer d’une part sans aucune aide au sol, d’autre part avec plus de vent, de façon à atteindre cet objectif de 90 % de disponibilité. Objectif qu’on peut exprimer autrement, mais qui vise le même résultat : l’autonomie de manoeuvre.

Depuis le Zeppelin en 2001, une vingtaine de projets innovants de dirigeable ont atteint le stade du vol. Et surprise, sur ces vingt projets dénombrés dans le monde, dix sont français ! Ceci a été possible grâce à la création en 1998 de la classe 5 ULM en France. Une facilité unique au monde, que nous envient les autres pays, et qu’il faut absolument préserver. Mais ceci a été possible surtout par la volonté de dix entrepreneurs français.

La recherche des innovations de rupture décisives pour acquérir  l’autonomie de manoeuvre se répartit entre quatre grandes tendances :

1) La vectorisation : des moteurs plus puissants et orientables, avec si besoin un pilote automatique, sont censés contrer et dominer les effets imprévisibles des sautes de vent près du sol. Le Zeppelin NT est ainsi la première réalisation aboutie et mise en service opérationnel de la vectorisation améliorée. Dans cette catégorie, citons aussi le démonstrateur OVO de Pierre Yves Duchesne (ci dessous à gauche) et l’Alizé de Pierre Balaskovic (ci dessous à droite). Cette voie semble cependant avoir trouvé sa limite, car les moteurs nécessaires pour être plus fort et avoir une effet plus rapide que le vent près du sol seraient beaucoup trop lourds et incompatibles avec le devis de poids du dirigeable.

 
2) L’hybridation : la portance statique du dirigeable est choisie délibérément inférieure à son poids, et il faut lui donner une vitesse et une assiette pour qu’il tienne en l’air, comme un avion. Le P 791 de Lockheed (ci dessous à gauche), le LEMV de Northrop Grummann/HAV, le Voliris d’Alain Bernard (à droite)  sont des hybrides. Leur inconvénient est qu’ils ont besoin d’une piste pour atterrir quand il y a peu ou pas de vent. L’avantage de l’atterrissage et du décollage vertical du dirigeable disparaît.

 
3) La variation de portance : Une partie de l’hélium porteur contenu dans l’enveloppe, à pression atmosphérique, est comprimé dans des réservoirs sous plus forte pression. La portance diminue, l’appareil devient plus lourd et son atterrissage est facilité. Cette voie est très prometteuse. Le démonstrateur Dragon Dream d’Aeroscraft (ci dessous) et le projet anglais Varialift sont basés sur ce principe.

 
4) Le fond plat : l’effet venturi qui naît entre le sol et le fond plat attire le dirigeable vers le sol à l’atterrissage. Le pilote peut poser et arrimer son appareil sans aide humaine au sol, même par vent important et irrégulier. Le projet portugais Gaya et le démonstrateur Dirisolar (ci dessous) utilisent cette propriété, qui a déjà été appliquée avec le succès qu’on sait sur les voitures de formule 1.

 
La conséquence directe de la dernière voie d’amélioration est la suppression complète des infrastructures au sol, mât d’arrimage et hangar. Et la suppression presque totale de la sensibilité au vent. Ces appareils pourront décoller et se poser sans aide au sol avec des vents jusqu’à 80 km/h.

L’autre grand challenge du renouveau des dirigeables est l’autonomie énergétique. Aujourd’hui, tous les véhicules modernes ont, à un moment ou un autre, besoin de ravitailler en énergie. Sauf les bateaux à voile bien sûr, mais ceux ci, trop dépendants de la méteo, n’ont aujourd’hui plus d’autre usage que le pur agrément. L’énergie solaire a été envisagée sur tous les véhicules depuis plus de quarante ans. En dehors de quelques démonstrateurs emblématiques, cet espoir est une impasse, car les surfaces nécessaires pour les capteurs sont toujours incompatibles avec l’architecture optimisée des véhicules. A titre d’exemple, une Mégane fonctionnant uniquement à l’énergie solaire devrait traîner une remorque de 400 m2 de capteurs photovoltaïques pour disposer de la même puissance. L’obstacle est le même pour les bateaux, les trains ou les avions. Mais cet obstacle disparaît en partie sur les dirigeables, car leur très grande surface permet justement d’accueillir les capteurs nécessaires.

Les démonstrateurs de dirigeables habités solaires sont à ce jour une exclusivité française, notamment le Sol’R de Bastien Lefrançois, le Capazza de CIEL (ci dessous) et le DS 1500 de Dirisolar. La propulsion est alors assurée par des moteurs électriques alimentés par des batteries ultralégères, formule dont la viabilité a été démontrée entre autres par l’Electroplume de Pierre Chabert et Jean Pierre David. Si l’autonomie de manoeuvre du dirigeable était enfin acquise, son autonomie énergétique, grâce au solaire, deviendrait un avantage prodigieux. C’est un peu le mariage du vieux fantasme du mouvement perpétuel et de l’utopie de la lévitation qui devient une réalité.

 
Le troisième enjeu est de maîtriser la perte d’hélium. La molécule d’hélium traverse n’importe quelle barrière d’étanchéité, même l’acier. Et ceci d’autant plus qu’il existe une différence de pression entre les deux cotés. C’est ici que la technique du dirigeable rigide, abandonnée en 1937 après l’accident du Hindenburg, revient en force. Car à l’inverse des dirigeables souples ou « semi rigides », les rigides fonctionnent sans avoir besoin d’une surpression de l’hélium dans l’enveloppe.  La fuite d’hélium est minimisée et l’autonomie sans recharge d’hélium se mesure non plus en jours, mais en semaines, voire en mois.

Le dernier pari des dirigeables innovants est de diviser le coût actuel de la structure de l’appareil par un facteur dix. Ce qui fait sourire les industriels de l’aéronautique. C’est pourtant ce qui s’est déjà passé pour les avions ULM. Leur structure en tubes et toile a gagné ce pari. En témoigne le succès mondial du Skyranger de Philippe Prévot (ci dessous). Un pari que les dirigeables vont bientôt à leur tour gagner.

 
Devant une telle profusion d’innovations de rupture dans les dirigeables, les organismes de certification, notamment l’EASA, et les organismes de régulation des vols, notamment la DGAC, sont perplexes et désorientés. Il n’ont guère d’autre possibilité que d’attendre les vols des démonstrateurs et le constat de leurs capacités pour statuer. Pour cela il faut des démonstrateurs, c’est à dire plus que des études poussées. Le gouvernement français a confié en 2013 l’animation de la filière des nouveaux dirigeables en France au pôle de compétitivité Pégase, qui revendique ce rôle depuis 2007. Pégase tente d’appliquer les méthodes en vigueur dans l’industrie aéronautique traditionnelle et mises en oeuvre dans les pôles de compétitivité aéronautiques : le maître d’oeuvre fixe la feuille de route, les start up et les PME soumettent leur projet de contribution, les grands donneurs d’ordre considèrent et décident. Il n’y a plus qu’à obéir. Cette méthode est difficilement applicable et sans doute vouée à l’échec pour le renouveau des dirigeables. Notamment parce que les technologies utilisées dans ces projets de dirigeables sont ignorées dans l’industrie aéronautique actuelle.
Tom Enders, CEO d’Airbus Group, et Marwan Lahoud, son
 directeur de la stratégie, ont compris qu’Airbus ne peut pas être le maître d’oeuvre du renouveau des dirigeables et l’ont fait savoir. Seule une politique de sélection et de réalisation de démonstrateurs de solutions permettra d’avancer. Et pour cela il faut probablement un budget d’Etat, à défaut manifeste et persistant de budget privé ou de budget d’industriel. Nous ne sommes pas dans le schéma classique de l’industriel qui capte l’intérêt d’une innovation, en finance l’industrialisation et en supporte seul le risque d’échec.

L’Association des Constructeurs et Utilisateurs de Dirigeables (ACUD) constituée en août 2014, rassemble la majorité des réalisateurs et exploitants d’appareils en France. Elle entend peser sur la feuille de route dirigeables, en concertation avec le pôle Pégase et le ministère de tutelle, proposer les évolutions nécessaires des processus de certification et de réglementation des vols, en travaillant avec la DGAC, suivre avec toute l’attention nécessaire les avancées techniques résultant des vols des démonstrateurs, mutualiser les acquis, dans le respect des droits de propriété intellectuelle de chacun, et promouvoir les transferts des acquis utiles. C’est de la compétition et de l’émulation que réussira le renouveau des dirigeables. L’ACUD agira sans relâche pour aider à trouver les financements nécessaires aux démonstrateurs d’innovations de rupture, et encourageratoujours la mutualisation des avancées techniques et leur transfert.

Au colloque de Royan sur les dirigeables, en juin 2014, six nouveaux projets français sont annoncés. Ernst et Young, dans l’étude de 2008 sur les dirigeables, chiffre à 500 000 le nombre d’emplois à créer dans le monde d’ici vingt ans. La France fait aujourd’hui la course en tête, ne gâchons pas cette avance déjà prise.

 

 

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